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Tandis que le roi de Prusse, Frédéric le Grand, avait su, après son père, « le roi sergent, » faire de sa petite armée une troupe tenue par une sévère « discipline, » les armées du roi de France, loin de s’améliorer au XVIIIe siècle, s’étaient, de plus en plus, livrées au désordre. Et ce double fait suffirait à expliquer comment, pressé par tant d’ennemis, Frédéric avait pu, avec des effectifs très inférieurs, battre à Rosbach l’armée du maréchal de Soubise. Napoléon, qui avait étudié plus qu’homme du monde les campagnes de Frédéric II, admirait avant tout dans son armée cette étroite discipline, principe de tous ses succès.

A la vérité, un ministre de la Guerre, formé à l’école frédéricienne, Saint-Germain, avait, à la fin du XVIIIe siècle, essayé d’introduire dans l’armée française le caporalisme prussien, prescrivant les punitions corporelles, les coups de plat de sabre et la fustigation des soldats indisciplinés. La réforme n’avait eu aucun effet : d’une part, le corps des officiers nobles, Français et par conséquent naturellement humains, et plus précisément à cette époque imbus des doctrines humanitaires que Jean-Jacques Rousseau avait mises à la mode, répugnait plus que jamais à employer de tels procédés, et, d’autre part, le soldat français paraissait si peu propre à s’y plier que la haine en fût sortie plus sûrement que l’ordre. Chaque peuple a son tempérament : le Prussien peut, par la peur des coups, devenir un héros ou tout au moins un merveilleux « outil tactique ; » le soldat français, infiniment plus intelligent et plus cordial, doit être autrement mené ; la conscience, la raison, le sentiment jouent dans la discipline de nos troupes les principaux rôles ; ils en sont les élémens essentiels ; le Français, guerrier sans peur, n’est guerrier sans reproche que lorsqu’il a plus ou moins, en quelque sorte, consenti la discipline, et c’est à le pénétrer de sa nécessité que nos officiers ont dû dans tous les temps s’appliquer. Tout Français qui a compris que « la discipline fait la force principale des armées » est un incomparable soldat, parce que le reste, vaillance, audace, belle humeur, philosophie, ingéniosité, dévouement, est toujours là.

Dumouriez, qui était un vieux soldat de l’ancien régime avant de devenir un des premiers chefs militaires de la République, connaissait bien son homme : « Le soldat français est, disait-il, très spirituel ; il faut raisonner avec lui, et dès que