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hier soir à dix-sept heures, et arraché le poteau aux couleurs allemandes. Il pleuvait à torrens, j’ai cherché à t’envoyer un télégramme pour souhaiter la fête à toutes nos chéries… Impossible !… J’ai reçu le baptême du feu, et je crois m’être conduit en vrai Pelleport… On commande sac au dos, au revoir. » Et, d’Aspach : « Quelle joie pour moi, ce matin ! j’ai reçu trois lettres de toi et un billet de Guillemette. Je suis si heureux de vous savoir tous bien portans !… Un régiment allemand entier s’est rendu, le 109e, colonel en tête. Nous avons pris dix-neuf camions automobiles superbes, une auto de luxe avec quatre officiers allemands… Nous marchons sans arrêt, absolument comme les anciennes légions de César… »

Le lendemain, à Sarrebourg, on se battait encore, mais on n’y retrouvait plus la même chance. Des bataillons entiers y succombaient, et c’était seulement cinq jours après le combat que le premier soldat Pelleport pouvait écrire à sa femme : « 25 août 1914, 10 heures du matin. — J’ai été blessé à la cuisse droite, le 20… J’ai été ramassé par les Allemands qui me traitent bien… je suis à Saaraltrof… Embrasse Poucette, Zizi, Lili, Gaston, Loulou, Pierre et Guillemette… » Puis, le même jour encore : « 25 août, Saaraltrof, 1914, je crois 13 heures. — Je t’ai écrit deux cartes postales ce matin. Je te disais que j’avais été blessé le jeudi, à la deuxième journée de la bataille de Sarrebourg… Vers midi et demi, notre compagnie, la 8e, avait été désignée avec la 7e pour aller remplacer notre troisième bataillon qui avait dû reculer, écrasé par l’artillerie ennemie. Nous sommes partis vers vingt-trois heures et nous nous sommes glissés en silence, malgré les projecteurs allemands, tout à fait en première ligne, le long des bords de la Sarre. Nous avons assisté là au feu le plus infernal qui se puisse concevoir, de cinq heures du matin à midi. Nous n’avons pas perdu un homme, nous étions trop près des Allemands, et nous aurions pu tenir encore lorsque notre capitaine a commandé baïonnette au canon pour charger. La compagnie n’a pu rien faire. Je suis tombé aussitôt, une balle ayant pénétré, avec une force terrible, dans le haut de la cuisse… Heureusement, elle est sortie, et j’espère qu’elle n’a rien laissé dans la plaie, qui est longue… »

Cette dernière lettre n’avait pas été achevée, et l’héroïque blessé s’y trompait sur sa blessure, causée non par une balle,