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humeur n’en était pas altérée, et toutes ces alertes l’amusaient. Il voyait sans le moindre chagrin le café s’en aller au vent, et se rhabillait gaiement, malgré ses cinquante-neuf ans et sa barbe blanche, avec ses effets mouillés. A l’occasion, pourtant, il n’échappait pas sans plaisir à la promiscuité du bivouac, et rendait grâces à la Providence lorsqu’elle lui procurait un lit. Un soir, il en trouvait un chez une vieille demoiselle et lui en gardait une profonde reconnaissance. Un autre soir, c’était au presbytère d’un village, et le bon curé, le lendemain matin, lui remplissait même sa gourde, au moment du départ, « d’une exquise eau-de-vie de poires sauvages, » dont il ne peut s’empêcher de parler dans une lettre à sa famille.

Mais on entrait bientôt en Meurthe-et-Moselle, et le 12 août, à Fontenoy-la-Joute, où la division s’était arrêtée, le général, en voyant passer le soldat Pelleport, lui faisait signe d’approcher pour le féliciter, le faisait rester à côté de lui pendant la lecture d’une proclamation pour laquelle on venait de battre le rappel, et disait ensuite au colonel :

— Colonel, aussitôt après le premier combat, vous nommerez Pelleport premier soldat… C’est le premier grade, et le plus beau !

Puis, il lui touchait la poitrine :

— Et après, ce sera la croix !

Le surlendemain, on avait franchi la frontière, le canon tonnait, et à Douesvres, vers midi, en débouchant devant un bois, la 8e compagnie était reçue par une grêle de balles.

— En avant ! criait M. de Pelleport sous la fusillade, en voyant tomber raide mort son voisin de gauche, le premier tireur de la section.

Et il se précipitait à l’attaque, suivi par toute la compagnie.

Les Allemands prenaient la fuite, on les poursuivait jusqu’au village, et M. de Pelleport, toujours en avant, sous les balles qui continuaient à pleuvoir, arrivait le premier avec son capitaine sur le mur crénelé du cimetière. Il n’avait même pas ralenti son élan, et revenait seulement ensuite sur ses pas, pour panser un homme tombé par terre et qu’il entendait se plaindre derrière lui… Le soir, il était nommé premier soldat !

« Je t’écris de chez le maire de Richeval, annonçait-il le jour suivant à Mme de Pelleport… Nous avons passé la frontière