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ne faisaient pas leur devoir lorsqu’ils ne faisaient pas davantage, et annonçait, le soir même, à Mme de Pelleport, qu’il irait, dès le lendemain, s’engager à Autun. Elle essayait alors, tout en admirant sa résolution, de lui rappeler qu’il n’était pas bien portant et qu’elle allait être bien seule pour administrer leurs propriétés, mais il ne se rendait pas à ces raisons, et lui répondait simplement :

— C’est vrai, mais nous devons donner l’exemple… Les gens de notre rang ont des obligations qui ne sont pas celles de tout le monde, et je dois partir… J’irai dès demain à Autun…

Le lendemain, les trains chargés de soldats ne prenaient plus de voyageurs, mais cette difficulté ne l’arrêtait pas. Il empruntait l’automobile d’un ami, revenait le même jour avec son engagement au 29e d’infanterie, et rapportait en même temps tout ce qu’il fallait pour s’équiper. Il était de retour à quatre heures, et sa fille aînée, Mme de Quérézieux, en l’apercevant de loin à côté du chauffeur, disait tout de suite à sa mère :

— Papa a réussi, vois comme il a l’air heureux !

En effet, il rayonnait, et commençait immédiatement ses préparatifs de départ. C’était un dimanche, il devait rejoindre son régiment le surlendemain, et de bonne heure, le lundi, il assistait d’abord à la messe en uniforme avec sa famille communiait, employait sa journée à mettre ses affaires en ordre, passait une dernière soirée au milieu des siens, et le mardi, dès le matin, faisait ses adieux à tous. Il embrassait sa femme et ses filles, les chargeait d’embrasser pour lui sa belle-fille et son petit-fils, et serrait la main à ses domestiques. Puis, très calme, silencieux, pendant que chacun évitait également de parler pour ne pas laisser éclater son émotion, il montait dans l’auto qui l’emportait.

Dans le pays et les environs, il n’était bruit, cependant, que de son engagement, et son arrivée à Autun, où chacun l’avait tout de suite reconnu, provoquait l’enthousiasme général. Il écrivait chaque jour à sa femme et à ses filles, « à ses chéries, » comme il aime à les appeler dans ses lettres, et n’y revient pas de surprise à toutes les ovations dont il est l’objet. D’abord, il se rendait à la tannerie dont on avait fait la caserne, et ne rencontrait déjà partout que des chapeaux et des mains qui s’agitaient en son honneur. Ensuite, il allait déjeuner à l’hôtel de la Poste, et tous les officiers, dans les cafés, se levaient sur son passage ne