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pensée et une volonté. À cette hauteur, il n’y a plus ni « d’esprit de finesse, » ni « d’esprit de géométrie. » Il y a l’esprit, ou il n’y a rien. Mais il ne se peut pas qu’il n’y ait rien. Le mot du chancelier Oxenstiern à son fils : « Allez voir, mon enfant, par combien peu d’esprit le monde est gouverné, » ce mot est faux. Par trop peu d’esprit, le monde n’est pas gouverné. M. Painlevé tiendra à honneur de démontrer en mathématicien que trente ministres font un gouvernement. Sa déclaration le promet, dans le sentiment qu’il faut, avec l’accent qui convenait. Nous souhaitons, et nous attendons, que ses œuvres le prouvent.

Les puissances occidentales ont d’autant plus l’obligation de s’assurer, pour le triomphe de leur cause, cette suprême chance de la guerre, que, depuis six mois, et peut-être davantage, si Tonne s’arrête pas à la surface des choses, elle manque tout à fait à leur grande alliée d’Orient, Depuis six mois au moins, la Russie a trop de gouvernemens pour avoir un gouvernement. C’est l’anarchie par panarchie, où tout le monde commande, personne n’obéit et personne n’est obéi. On avait salué comme une libération la jeune audace de Kerensky; on aimait voir en lui le régénérateur, le réorganisateur; on ne lui ménageait pas les comparaisons, Carnot, Danton, d’autres encore: d’acharnés adversaires du pouvoir personnel, subitement convertis par la nécessité, faisaient en sa faveur appel à la dictature. Deux ou trois fois, le bruit a couru qu’il l’avait assumée, et l’on en eût été heureux, non point à cause de la dictature, mais à cause de la possibilité d’ordre. Pour dire le vrai, la dictature de Kerensky apparaissait purement oratoire, et telle quelle, on la sentait toute tournée, par inclination ou par faiblesse, contre le péril réel ou imaginaire de la réaction, de la contre-révolution, contre des ombres, plus ou moins consistantes ou inconsistantes, de complot; molle et désarmée en face du péril trop réel, immédiat, présent et pressant, du délire révolutionnaire, internationaliste, pacifiste, défaitiste et germanisé. Et l’on voyait si bien poindre le conflit de Kerensky avec Korniloff qu’on les avertissait: ce n’était pas trop, pour la tâche écrasante et presque surhumaine qui allait s’imposer à eux, qu’ils fussent tous les deux et que tous les deux ne fissent qu’un.

Mais, à ce moment déjà, ils faisaient deux, et le duel allait s’engager. Le 1er ou le 2 septembre, Korniloff invitait Kerensky à tenir les promesses qu’il lui avait faites, et de prendre d’urgence toutes les mesures, — y compris le rétablissement de la peine de mort, — pour restaurer la discipline au front et étouffer la propagande criminelle à