Dans cette fuite des événemens où le fait efface le fait, comme, dans une mer furieuse, la vague recouvre la vague, les hommes et les choses sont emportés d’un tel mouvement qu’il est presque impossible d’en suivre ou d’en fixer tous les temps et d’en tracer un tableau qui soit à la fois exact et complet. Ce ne sont pas seulement les morts qui vont vite. L’histoire court. Il est vrai, pour notre malheur, que, depuis plus de trois ans, elle n’est faite que de morts. Cependant la guerre elle-même, l’action proprement militaire, par momens, paraît piétiner et stagner. Nous venons de traverser un de ces intervalles. Les Allemands, après leur poussée sur Riga, semblent s’être arrêtés : hésitent-ils ou se préparent-ils ? Est-ce de leurs desseins qu’ils ne sont pas sûrs, ou de leurs forces ? Ils suspendent leur marche sur le front roumain, qu’ils dégarnissent, soit que l’héroïque résistance d’une armée qui a été magistralement reprise leur ait fait payer trop cher un succès d’où ils n’espèrent plus tirer assez, soit que la pensée de Pétrograd ait chassé de leur esprit le rêve d’Odessa. Sur l’Isonzo, le San Gabriele est toujours disputé en d’âpres et incessans combats : Vienne défend là le double chemin de Laybach et de l’Adriatique. Chez nous, sur le front tenu par les troupes françaises, on n’a guère signalé que des canonnades et des escarmouches : ainsi sur l’Yser, sur l’Aisne, sur la Meuse. Sous Verdun, pourtant, nous avons enlevé le bois le Chaume et la crête du bois des Caurières : le Kronprinz impérial en a témoigné son dépit par des contre-attaques dans le grand style, qui n’ont jamais manqué de tourner à notre avantage. Sauf entre Langemarck et Hollebeke, où les soldats du général Gough ont pénétré de quinze cents mètres dans les lignes allemandes, faisant trois mille prisonniers, nulle part, cette quinzaine, n’a tonné un coup éclatant,