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et fraternelle, n’est-ce pas hier que la musique de la Garde Royale anglaise est venue chez nous et par nous se faire applaudir ! Au grand soleil de juin, un jour dans l’enceinte charmante et fleurie du Petit-Palais, un autre jour, — concert plus étonnant encore, — au pied de la colonne impériale, « c’était merveille de le voir, merveille de l’ouïr, » l’orchestre aux tuniques écarlates et chamarrées d’or, d’où jaillissaient tour à tour l’hymne britannique et le nôtre, double promesse d’une seule victoire.

Plus vieilles de quelques années, mais toujours vives, que d’émotions patriotiques la musique militaire, la nôtre, ne nous a-t-elle pas données ! Un soir entre autres, — nous croyons en ressentir encore la grave et presque religieuse douceur, — un soir, c’était au Luxembourg. Dans le jardin italien à demi, à demi français, classique deux fois, devant le vieux palais florentin, entre les parterres de glaïeuls et de roses trémières, sur les terrasses et sous les platanes de la fontaine, partout ici notre enfance a couru, partout a travaillé, flâné, rêvé notre jeunesse. Jardin des écoliers et des étudians, des poètes, des artistes et des amoureux, on y respire plus de vie et de beauté qu’en tout autre ; il semble qu’un air plus subtil et plus imprégné de souvenirs y forme des sons plus capables de nous attendrir. La garde républicaine, « la garde, » va jouer devant un nombreux et modeste auditoire. D’humbles gens surtout le composent. Ils causent entre eux, gentiment. « Moi, dit un ouvrier, j’ai une heure de chemin pour venir à la musique. » Et voici qu’elle vient à eux, à nous. L’heure est délicieuse. Une vapeur lilas s’élève entre les marronniers. Les premières feuilles de platane tombent sur l’eau du bassin. Quelquefois un ramier traverse le cercle sonore. Le saxophone soupire la touchante élégie de Massenet : « La Troyenne regrettant sa patrie. » Nous écoutons les soldats de France jouant de la musique française devant un public français. Alors, l’âme de notre pays se mêle à notre âme, son cœur bat avec notre cœur. Au lieu de la captive antique, nous croyons en entendre d’autres, nos sœurs de Lorraine et d’Alsace, pleurant, comme la Troyenne, leur patrie perdue…

Qui nous eût dit alors qu’elles la retrouveraient demain !

À propos de ces souvenirs, évoqués ailleurs, M. Camille Saint-Saëns nous écrivait naguère :

« Vous parlez de votre joie d’entendre de la musique française devant un public français. Or, je trouve, moi, qu’il y a dans ces concerts beaucoup trop de musique étrangère.

« Le public qui vient là, qui fait « une heure de chemin pour