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l’âme la moins combattue qui fût jamais vous semblera très finement informée de tout l’émoi possible.

La vérité, c’est qu’il domptait son émoi, fût-ce le plus difficile à dompter, celui de l’intelligence. Il avait le génie de mettre en ordre ses idées : on perdait son temps à croire qu’on le surprendrait en état d’incertitude. Le très savant et subtil Pierre-Daniel Huet, qui menait une terrible campagne contre les cartésiens, lui adressait, un jour de l’année 1689, son dernier livre, la Censure, en latin, de la philosophie cartésienne. Or, il soupçonnait Bossuet, — dit-il dans ses mémoires ou Commentaire, en latin, des choses ayant trait à lui, — de « favoriser » cette philosophie, et même de se mêler à des réunions de cartésiens. C’est ce qu’il ne manqua pas d’insinuer, dans la dédicace du livre où il attaque « une doctrine qui a eu le bonheur de vous plaire. » Cette doctrine, dans la préface de la Censure, il la dénonce comme contraire à la religion. « Je veux croire, pour ma satisfaction, répond Bossuet, que vous n’avez pas songe à lier ces choses ensemble. Mais la foi, dans un chrétien, et encore dans un évêque qui la prêche depuis tant d’années sans être repris, est un dépôt si précieux et si délicat qu’on ne doit pas aisément se laisser attaquer par cul endroit-là en quelque manière que ce soit… » Conséquemment, il va dire ce qu’il pense de la philosophie cartésienne. Il y a, dans cette philosophie, des élémens qui contredisent à la religion : Bossuet les improuve. Et il y a, dans cette philosophie, des argumens très utiles contre les athées et les libertins, argumens qui d’ailleurs sont déjà dans Platon, dans saint Augustin, dans saint Anselme, quelques-uns même dans saint Thomas : sont-ils devenus mauvais, depuis que Descartes les a formulés ? « Au contraire, je les soutiens de tout mon cœur, et je ne crois pas qu’on les puisse combattre sans quelque péril… » Est-ce là le tout du cartésianisme : du mauvais que l’on écarte et du bon que l’on adopte ? Non : « Pour les autres opinions de cet auteur, qui sont tout à fait indifférentes… » Indifférentes à la religion… « comme celles de la physique particulière et les autres de cette nature, je m’en amuse, je m’en divertis dans la conversation ; mais, à ne vous rien dissimuler, je croirais un peu au-dessous du caractère d’évêque de prendre parti sérieusement sur de telles choses. Voilà, monseigneur, en peu de mots, ce que je crois sur Descartes. » Et voilà comment les malices de Pierre-Daniel Huet n’ont point embarrassé Bossuet, lequel n’avait pas attendu ce défi pour ranger ses opinions touchant Descartes et les cartésiens.

M. Dimier cite le commencement de cette lettre, non la fin. C’est la