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surlendemains. Nous ne demeurons plus et nous sommes campés, un peu comme des bohémiens en voyage et qui n’ont pas le loisir d’une installation. Bossuet nous enseigne ce qu’il y a, dans notre destinée, de permanent. Regardez-y : ce qu’il y a de permanent, c’est, dans notre destinée, le principal.

Cependant, vous admettez, dira-t-on, la différence des époques. Votre M. Dimier lui-même, qui interroge Bossuet sur les problèmes de notre temps, — sur les problèmes de tous les temps, et du nôtre ! — dit : « à une époque donnée, et dans certaines circonstances. » Eh ! bien, parmi les écrivains et les penseurs de l’ancienne France, il n’en est pas un qui, plus que Bossuet, nous apparaisse comme un homme du passé, qu’on peut « admirer dans son cadre, » mais non pas tirer de son cadre et imaginer vivant au milieu de nous : un magnifique portrait de famille française, un ancêtre glorieusement suranné, que vous auriez tort de ressusciter en esprit ; car il n’a rien à vous dire et vous n’avez rien à lui dire !… L’un des argumens qui servent à prouver que Bossuet n’est pas du tout moderne, c’est la prétendue placidité de Bossuet. Sainte-Beuve le définit « l’âme la moins combattue qui fût jamais. » Et l’on oppose à tant de tranquille assurance le trouble infini de nos esprits et de nos cœurs. L’âme la moins combattue qui fût jamais ? M. Dimier répond : « C’est ne pas songer que l’âme qui triomphe garde pour elle le secret de ses combats… » Alors, aucune âme triomphante n’a, dira-t-on, si bien gardé le secret de ses combats : et nous avons pris, de nos jours, une telle habitude et un tel goût de l’indiscrétion, touchant les âmes et leurs moindres alarmes, que le silence nous a l’air de ne rien cacher. M. Dimier cite néanmoins quelques passages de Bossuet d’où il appert que ce docteur n’a point méconnu les délices du monde, — « ces délices, ces doux changemens, cette variété qui égaie les sens, ces égaremens agréables où ils semblent se promener en liberté ; » — ce n’est point assez dire ? eh ! qu’attendez-vous que dise davantage un évêque parlant à ses ouailles ? il ne méconnaît pas et ne dissimule qu’autant que les convenances l’y engagent l’attrait du péché : « ces douceurs et ces complaisances, et tout ce qu’il ne faut pas penser en ce lieu et répéter dans cette chaire. » Ces mots-là tremblent assez bien, frissonnent assez bien, ne sont pas d’un être dur et insensible. Ces mots encore sont de Bossuet : « la malheureuse alliance du plaisir et de l’habitude ; » et ces mots : « nous n’avons en notre pouvoir ni le commencement de l’inclination, ni la fin de l’habitude. » Et puis, relisez ou lisez tout le Traité de la concupiscence : et