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Wladimir de la Fite, marquis de Pelleport, plus habituellement appelé comte de Pelleport, restera comme l’une des figures les plus symboliquement héroïques de cette extraordinaire époque. Il conservait avec piété, après les avoir recherchées en fidèle de sa famille autant qu’en érudit, les preuves authentiques de sa noblesse, et la maison de la Fite de Pelleport, de vieille chevalerie de Guyenne, avait toujours été, pendant plus de sept cents ans, exclusivement et passionnément militaire. Arnaud-Guillaume de la Fite se croisait dès le milieu du XIIe siècle, Raymond de la Fite en 1198, et Bernard de la Fite en 1213. Des nombreuses branches formées par cette maison de la Fite, celle de Pelleport avait seule survécu. Tirant son nom de la terre de Pelleport restée pendant sept siècles entre ses mains, elle avait été, durant presque tout le XVIIe siècle et le commencement du XVIIIe, propriétaire de deux régimens, Pelleport-infanterie et Pelleport-cavalerie. Devenu plus tard le 5e cuirassiers, Pelleport-cavalerie avait été presque entièrement détruit en Espagne sous Louis XIV, et le marquis de Pelleport du temps, lieutenant général des armées du Roi, s’était à peu près ruiné à le reconstituer. Mais les Pelleport n’en étaient pas moins toujours restés soldats dans le sang et, à plus d’un siècle de là, le petit-fils du lieutenant général, Louis-Joseph de la Fite de Pelleport, ancien lieutenant au régiment d’Artois, avait encore servi sous Napoléon, après avoir émigré. Fait prisonnier par les Russes au siège de Dantzig, puis interné en Courlande, il s’y était marié, y était mort, et son fils Wladimir de Pelleport était alors rentré en France, pour s’y engager dans les lanciers, qu’il quittait à la fin de son engagement. Il devait être le père du vieux soldat à barbe blanche dont la présence à Autun, au début de ce tragique mois d’août 1914, causait une si profonde émotion, et sous la simple capote duquel revivaient, à ce moment de réveil et d’exaltation, sept cents ans de noblesse militaire.

Descendant de cette lignée illustre mais dont les derniers représentans, dispersés et ruinés par la Révolution, avaient connu tous les revers, le comte de Pelleport, une quarantaine d’années auparavant, était entré dans le monde par la porte douloureuse. Fort lettré, mais pauvre, son père, après son passage aux lanciers, avait suivi la carrière littéraire à laquelle l’appelait un sérieux talent d’écrivain, et toute son