moissonneuses-lieuses, et dont le travail mécaniquement rapide a remplacé le rythme antique de la faucille, l’officier agriculteur qui a bien voulu m’accompagner et me guider en cette visite à la ferre qui renait, me fait remarquer le caractère composite du tableau que nous avons sous les yeux.
— A celle moissonneuse-lieuse, me dit-il, sont attelés des chevaux « civils, » si j’ose ainsi parler. C’est un militaire français qui, monté sur la haute sellette, conduit l’attelage. Et c’est un prisonnier boche qui ramasse les gerbes.
Un sergent territorial, qui sert sous les ordres de l’officier agriculteur, est descendu de sa bicyclette pour nous donner des renseignemens, et nous allons vers une forme où l’on veut nous faire assister à la rentrée des foins. Nous traversons plusieurs villages, ruinés de fond en comble : Biarre, qui n’était peuplé que d’agriculteurs, et où les rapatriés, en rentrant, ne retrouvent plus que des maisons écroulées, des pommiers coupés ; Cressy-Omencourt, où l’on voit des arbres gisans, des toitures crevées… Mais voici la charretée de foin, annoncée avec joie, comme une sorte de nouveauté très curieuse et rare dans le pays, par le brave sergent territorial. Nous la suivons, le long d’une petite rivière ombragée de saules. Elle s’engage dans un chemin creux, bordé de talus où les coquelicots ardens font flamboyer au soleil leurs corolles rouges, comme pour célébrer le retour du travail et de la vie dans ce paysage désolé où l’absence des hommes aggrave le silence de tant de choses qui semblent inertes et mortes… Enfin la lourde charge de foin odorant s’arrête devant le portail d’une grange. Le conducteur de l’attelage, que nous ne pouvions pas voir, met pied à terre. C’est un « bleuet » de la classe 1918. Sous son képi neuf et son uniforme couleur d’horizon, avec ses bonnes joues rebondies et fraîches comme une pomme d’api, ses yeux d’azur candide, son air honnête, doux, précocement grave, l’enfant-soldat, armé pour la défense du sol héréditaire, et de tout le domaine idéal des ancêtres, se repose, à la noble manière des paysans de France, on travaillant. Il sait, il sent, il prouve que, dans les heures décisives que nous traversons, deux grands devoirs s’imposent à tous les Français : travailler ou combattre. Ce combattant de demain est un travailleur d’aujourd’hui. Trois de ses camarades l’attendent, fourche-en main, devant la grange. Ils ont quitté la capote bleue pour mieux besogner. Nu-tête, le teint hâlé par