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de 47, permit à plusieurs cultivateurs de remplacer leurs attelages disparus et de reprendra le travail interrompu par les rapines de l’ennemi.

… Sur la route de Nesle, redevenue praticable, aux abords de Carrépuis, de Réthonvillers, de Marché-Allouarde, villages à peu près détruits, où cependant les habitans commencent à rentrer, on rencontre à présent des véhicules qui transportent des familles, tirés au grand trot par des chevaux qui ont fait la campagne de la Marne ou celle de l’Yser et qui sont encore très résistans. Vision rapide, qui remet du mouvement et de la vie dans ce paysage longtemps inanimé…

Halte au bord d’un champ où le seigle a poussé, malgré d’inextricables enchevêtremens de fil de fer barbelé. Une équipe de prisonniers allemands fait la moisson, sous la surveillance d’un territorial débonnaire. Ce sont, en majeure partie, des Saxons. L’un d’eux, qui est Prussien, hésite avant de déclarer sa nationalité. Le cantonnement de ces prisonniers n’est pas loin du champ où ils travaillent. C’est un local très proprement tenu, convenablement abrité, muni de couchettes, pourvu d’une cuisine dont le Küchemeister en bras de chemise n’a vraiment pas l’air malheureux. J’imagine que les pauvres gens du pays picard, lorsqu’ils reviennent des camps de déportation de Holzminden, de Parchim.de Rastadt, de Zwickau, ne manquent point de comparer les cantonnemens français avec les geôles brunswickoises, mecklembourgeoises, badoises, saxonnes, où ils ont tant souffert.

Autour de Roye, entre l’Avre et la Somme, s’étend la riche plaine appelée Santerre (sana terra), la Beauce picarde, formée d’un sous-sol crayeux et d’une assise de limon qui invite l’activité humaine à se spécialiser, pour ainsi dire, dans les travaux des champs. C’est un pays fait à souhait pour d’éternelles Géorgiques. On connaît peu de contrées où la nature et l’humanité se soient mieux adaptées l’une à l’autre par l’action séculaire d’une mutuelle influence. Cette terre de labour a fait des laboureurs. Ceux-ci n’ont jamais cessé de façonner la glèbe pour obtenir d’elle le plus fructueux rendement. Aussi n’est-on pas surpris de voir la vie agricole se réveiller déjà, malgré les dévastations de l’ennemi, dans cette plaine, longtemps privilégiée, où les scènes champêtres ont pris un aspect imprévu.

Avisant une de ces machines, qu’on appelle des