Noyon.
C’est samedi, jour du marché. Un beau soleil de juillet, rayonnant dans le ciel bleu, sans nuages, répand sa resplendissante lumière sur les tours de la cathédrale, sur les toits d’ardoises des vieilles maisons, sur les pavés de la place du Marché-au-Blé. Cette place, longtemps déserte, dépeuplée par le terrorisme des Allemands et par leur système de réquisition à outrance, reprend peu à peu ses anciennes habitudes. C’est là que, de temps immémorial, les ménagères de Noyon avaient coutume de faire leurs provisions pour toute une semaine. Le marché du samedi, sans préjudice des grosses foires de septembre et des fêtes patronales, attirait au chef-lieu de ce riche canton beaucoup de marchands et une multitude d’acheteurs. Noyon possède, au fond de ses vallées, au penchant de ses coteaux, les plus florissans vergers et les plus fertiles potagers de toute la contrée. Le terroir de la « montagne de Noyon, » comme on dit en ce pays peu accidenté, offre aux maraîchers une abondante ressource de travail et de profit. C’est un terroir de petite culture, très lucrative, où l’habitant n’a pas besoin de faire beaucoup de chemin hors de son logis, ni de perdre de vue la fumée de son toit familier. Au seuil des immenses plaines du Vimeu, du San terre, où l’horizon des grandes cultures s’étend à perte de vue, jalonné çà et là par la silhouette d’un moulin à vent, les jardins de Noyon, sur les rives verdoyantes de la Verse et de la Divette, offrent aux yeux du voyageur un paysage limité à souhait, où la nature et l’homme peuvent vivre, dans une sorte d’intimité quotidienne, autour des monumens de pierre qui racontent les fastes historiques ou légendaires du diocèse de saint Eloi. Mais, tandis que la domination allemande s’appesantissait sur la ville, la folle végétation de l’ortie et de la ronce envahissait les enclos jadis fertiles, aux abords des faubourgs, Le va-et-vient des flotteurs de raisins et des cueilleurs de pommes avait cessé depuis longtemps d’animer les chemins creux, au fond des vallons boisés. De sorte que le marché du samedi avait été supprimé par la Kommandantur. Un des premiers soins de notre haut commandement, agissant d’accord avec les autorités