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à réveiller dans les âmes le patriotisme étouffé sous les phrases creuses des secrets alliés de l’Allemagne. Un grand élan se manifesta. Des civils, des voyenni-tchinovniks (fonctionnaires militaires), des soldats, consciens du danger que la défaite sur le front ferait courir à la jeune liberté, formaient ces héroïques régimens de volontaires que l’on a désignés sous le nom de Bataillons de la Mort. Kérensky entreprenait sa campagne sur le front. Des régimens d’officiers, composés surtout de ces praportchicks, sortis des rangs du peuple, fleur de la jeunesse révolutionnaire, quelques-uns fils des anciens martyrs du tsarisme, allaient se faire tuer pour entraîner l’armée dans leur sillage glorieux. On put croire que la Russie se ressaisissait ! Les premières victoires de Korniloff, aidé de ces braves troupes, firent fleurir l’espérance au cœur des Alliés. La Russie avait vaincu l’anarchie, vaincu l’apathie de ses armées, elle allait se relever glorieuse, prête à consolider par la victoire extérieure la dure et difficile conquête de ses nouvelles libertés.

Ce n’était qu’une belle, mais brève illusion due aux efforts combinés de Kérensky et des chefs d’armée. Korniloff l’avait compris depuis longtemps : l’action verbale de Kérensky ne pouvait constituer qu’un palliatif ; tant que le mal ne serait pas coupé dans sa racine, les mêmes causes continueraient à produire les mêmes effets.

En outre, le ministre de la Guerre, influencé par le Conseil des délégués ouvriers et soldats, venait de signer la fameuse « Déclaration des droits du soldat, » dont la publication avait, disait-on, provoqué la démission du ministre Goutchkoff. Cette « déclaration » en dix-huit articles fut précédée d’un Appel du Comité exécutif du Conseil :

« Camarades-soldats !

« Depuis deux mois nous attendions que nos droits obtenus par la révolution aient force de loi. Vous êtes libérés du tsarisme. La révolution vous a tous rendus égaux. Le soldat est devenu citoyen. Toute différence, hors des rangs, est abolie entre officiers et soldats. L’article XII de la Déclaration des droits du soldat dit que le salut militaire n’existe plus (votée le 11/24 mai, annoncée par un ordre du jour de Kérensky à l’Armée et à la Flotte). Désormais un citoyen-soldat peut saluer ou ne pas saluer qui il voudra. Vive le soldat-citoyen conscient !