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résistance de l’aile gauche française, en lui procurant un point d’appui de premier ordre, on tournera cet obstacle en faisant passer au Nord (c’est-à-dire par la Belgique) et tout à fait en dehors du rayon d’action du camp retranché, la masse de manœuvre précédée d’une force importante de cavaliers.

Si l’opération réussit, la victoire complète et la désorganisation de l’ennemi en seront les conséquences… Et si les deux attaques réussissent simultanément, on obtiendra un véritable encerclement de l’adversaire qui subira, de ce fait, un désastre total…

Mais il faut penser tout de suite à la défectuosité du système ; on va courir deux lièvres à la fois ; on va étendre le front ; on a, en quelque sorte, deux idées préconçues au lieu d’une seule. La théorie de Bernhardi (c’est-à-dire du mouvement tournant par une seule aile) semble plus nette, moins dangereuse dans sa brutale simplicité…


Voilà des jugemens clairs et marqués au coin du bon sens. Confirmés par l’appréciation de de Moltke lui-même, ils jugent préventivement la conception géniale dont la révélation avait poussé l’empereur Guillaume à déclarer la guerre et à commencer par l’attentat contre la Belgique. Ces critiques ont prévu les faits ; les faits s’y sont exactement conformés. Les conceptions de Schlieffen, par leur immense envergure, ont permis à l’adversaire de s’échapper et aboutiront fatalement à une « contre-attaque » qui sera la bataille de la Marne.

Joffre la décide et la prépare dès le 25 août.

La première partie de la Bataille des Frontières, si elle a ruiné son plan offensif, lui a révélé celui de l’ennemi. Il ne s’entête pas à raccommoder son propre système ; il prend ses dispositions pour tirer parti des défectuosités de l’autre. L’ennemi avait tous les avantages : préparation, armement, initiative, surprise. Joffre les lui arrache par ses nouvelles instructions tactiques et stratégiques, dictées en pleine bataille. Schlieffen avait dit : « Une manœuvre d’enveloppement et d’écrasement est nécessaire pour en finir d’un seul coup et afin d’éviter la guerre d’épuisement. » Bernhardi avait dit : « Les armées modernes trouveront leur tombeau dans les tranchées. » Or, Joffre a échappé à la destruction soudaine ; et, après avoir battu les armées allemandes, il les jettera dans les tranchées. En un mot, il prend l’avantage sur l’ennemi par une sage exploitation des fautes de celui-ci. Une fois sur le terrain, l’intelligence française, le caractère français, montrent ce qu’ils sont.