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mais très vite j’ai compris que l’air que je respirais était baigné de douceur et de sympathie grave. J’avais cru être seul et j’ai deviné autour de moi des centaines d’amis ignorés.

Qui dira, en ces jours, la pitié, la bonté de la foule anonyme, l’immense impression de douceur maternelle qui vous enveloppe, quand, faible, vous vous abandonnez en toute confiance à la force de ses flots mouvans ?

Je vais mon chemin. J’approche d’un obstacle que je n’aperçois pas. Une main m’arrête aussitôt et me guide. On m’aide sans un mot, simplement, avec tact et bonté, et partout je sens autour de moi la même sollicitude. Des pas s’attachent au mien, s’arrêtent quand je m’arrête indécis, au bord d’un trottoir, et je sens peser sur moi des regards protecteurs, attentifs, qui surveillent la rue où je vais m’engager, m’entourent, et me suivent.

Je me risque jusqu’à prendre le « métro » et, dès l’entrée, un bras se passe sous le mien, une main inconnue prend mon billet, me guide dans le dédale des escaliers et des couloirs ; les portillons des quais s’ouvrent d’eux-mêmes, à mon approche, comme les portes des wagons ; on m’aide à monter en voiture et une « place assise » se trouve toujours libre, quelque dense que soit la foule. Les hommes et les femmes me sont reconnaissans de l’occasion que je leur donne involontairement d’être bons et parmi ceux qui me rendent service, il en est qui me disent merci.


Admirable impression d’identité. — Ces hommes et ces femmes m’accueillent vraiment avec une douceur fraternelle, et leurs gestes si simples disent à mi-voix leur gratitude et leur amour pour tous ceux que le mal accabla.

Ces êtres communient dans un même sentiment, car ils sont proches les uns des autres ; la masse des étrangers a disparu ; les Français maintenant ont la majorité dans une foule parisienne ; on est entre soi ; on pleure des mêmes douleurs ; on tressaille des mêmes espoirs…


Cependant la lumière se fait en moi ; je sens qu’à vivre abstrait du monde je me serais étiolé, tandis qu’à descendre