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barreaux brillans des chaises lorraines, claires comme des glaces, et les dorures du dos des livres, les étoffes des sièges, les teintes si douces du poirier, si solides du chêne, si chaudes du merisier. Les vieilles reliures du XVIIIe siècle, leurs rouges, leurs verts à peine ternis, leurs ors immuables s’enveloppent d’un nuage gris, et les fleurs, enfin, brodées, tissées, peintes ou vivantes, ont l’air saupoudrées de cendre.


Les visages, eux aussi, sont éteints.

Lorsqu’on sait qu’on peut descendre par les yeux dans les âmes, lorsqu’on aime à suivre les bonds de la pensée dans les mouvemens parfois imperceptibles du visage, il est dur d’entendre à deux mètres de soi un être vous parler comme du fond d’un brouillard. Tous les traits, si connus soient-ils, s’enchevêtrent. Les contours des joues, du nez, du menton, invisibles à faible distance, sont si flous quand on se rapproche qu’on les dirait fondus, étalés en taches affadies, dégradées, mélangées par leurs bords, et, pour peu qu’une figure s’inscrive dans un fond clair, elle s’y mêle et disparait presque.

Ces visages indistincts me semblent loin de moi, et j’imagine parfois que je leur téléphone… Eloigné, isolé au milieu des hommes, je viens d’éprouver la plus grande douleur peut-être qui m’ait assailli depuis mon retour : nous étions deux, et nous parlions, et, sur un mot, j’ai deviné qu’on souriait en face de moi d’un sourire indulgent et tendre, que j’aime et ne reverrai plus.


LE SOUVENIR DE L’ODEUR

J’étais sorti. Il a plu. J’entendais les larges gouttes tomber brutalement sur le sol, et, oubliant que je ne sentais plus, j’ai largement humé l’air.

Vous souvenez-vous de la forte odeur de la terre mouillée au printemps ? Elle est grasse, profonde, emplit les narines et vous comble de joie, car elle semble une promesse des floraisons prochaines. Vous souvenez-vous des parfums qui, l’été, vers le soir, chargent l’air de leur ardeur puissante et sombre ? Vous souvenez-vous ?…