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qu’on n’a pu les exposer tous ; quatre cents tableaux sont à terre, attendant leur place, mais on peut cependant les étudier. Dès huit heures du matin, les Fragonard sont à leur chevalet, et Bergeret vient les voir : « Je suis retourné en carrosse aux galeries, où sont établis M. et Mme Fragonard dès le matin, pour y faire récolte de dessins… Il faut recommencer tous les matins à huit heures à revoir les galeries, et toujours elles sont nouvelles et remplissent très bien l’idée que nous en avions ; et c’est une ressource inépuisable pour les gens d’art et les amateurs. L’un et l’autre perdent bien du temps en Italie, qu’il faut cependant avoir vue, mais plus légèrement, et de là se jeter dans les belles galeries de Dresde, Dusseldorf, Mannheim. » C’est du moins l’avis des Allemands que Bergeret enregistre. Il admire la réunion des cinquante pastels de la Rosalba, qui font « une collection bien aimable. » Frago fréquente les professeurs de l’Académie de peinture, qu’il juge fort bien organisée pour l’enseignement ; elle a pour directeur un peintre français, Hutin, établi à Dresde depuis vingt-cinq ans, et l’un des meilleurs professeurs est Giovanni Casanova, « frère de celui qui est à Paris. »

Cette fois, l’expédition touche à sa fin ; nos voyageurs se hâtent vers la France, dans la bonne berline, « qui a fait bien des cent lieues et à laquelle il ne manque rien. » Ils remarquent l’heureux aspect de la campagne et des villes dans la région de Fulda, de Francfort, de Darmstadt ; ils s’arrêtent quelques heures à Mannheim, pour voir une dernière galerie de tableaux. Le 8 septembre, ils couchent à Strasbourg, en terre du Roi, et quelques jours après arrivent à Paris, harassés, ravis et brouillés.

La mésaventure était inévitable. Ce retour de Frago au pays qui avait formé sa jeunesse aurait pu être délicieux, s’il l’eût fait librement, avec des compagnons de son choix. Il goûta d’abord les agrémens matériels du voyage, et compta sur la souplesse de son caractère pour en esquiver les difficultés. Mais on peut deviner, à l’éclat qui le termina, qu’il ne tarda pas à souffrir. Il aurait fallu, en effet, d’après les conventions du départ, supporter sans faiblir les volontés, caprices, goûts et dégoûts de M. Onésyme Bergeret, écouter ses dissertations artistiques, expliquer les édifices sacrés et profanes, faire les achats, croquer, dessiner ou peindre aux ordres d’autrui ; et tout cela, quand on est Frago, devient à la longue assez pénible.