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Dès les premiers temps du séjour, Bergeret, endoctriné par Frago, a voulu se montrer l’ami des jeunes artistes, imiter cet abbé de Saint-Non qui fut si populaire parmi eux et dont on lui a beaucoup parlé. Il tient tout au moins à étaler sa magnificence : « Aujourd’hui, nous avons… donné notre concert dans le palais de l’Académie, ce que M. Natoire, directeur, a paru désirer. Cela a fait une espèce de conversation, mais coupée par beaucoup de musique, et comme l’endroit est vaste, on est maître de s’éloigner ou de s’approcher de la musique. L’assemblée a été fort nombreuse, avec rafraîchissemens et glaces dont M. Natoire a voulu faire les frais. Nous avions des voix claires, qui vont faire les femmes dans les opéras, qui commenceront incessamment, et qui ont chanté des ariettes fort agréables. »

Souvent, au matin, Bergeret va visiteur les ateliers, y faire choix de quelque morceau ; cette partie de sa vie romaine le satisfait pleinement, tant il a plaisir à croire qu’il est un connaisseur expérimenté : « Quand je dirai que je vois tous les jours quelque chose de nouveau, je ne peux être entendu que d’un amateur de peinture. Tantôt c’est un joli dessin, une galanterie que me font quelques pensionnaires de l’Académie, tantôt ma chienne blanche Diane, levrette délicieusement peinte par M. Vincent, pensionnaire du Roi, qui m’en a fait l’agréable surprise, tantôt un dessin nouveau par mon camarade de voyage M. Fragonard, quelquefois un morceau de porphyre précieux, à bon marché, ou autre marbre granité ; souvent faisant de fréquens voyages inutiles, mené par un brocanteur, qui nous vante des tableaux ou curiosités, que nous jugeons infâmes dès le pas de la porte. Mais on dit qu’il faut tout voir, et à la fin on rencontre quelque chose. Je suis content de ma matinée ; elle a été bien employée. »

Frago est parvenu à rendre régulières les réunions d’artistes qui lui plaisent tant, et bientôt elles ont lieu le dimanche, après la messe, vers dix heures : « Ce matin, note Bergeret, le 13 février, la « conversation » que j’ai établie a été fort nombreuse. Tous les gens d’art s’y trouvent, de l’Académie ou autrement. Elle est moins sérieuse que toutes les superbes « conversations » des palais ; on en parle déjà et cela ne peut que me faire honneur. Il s’agit de chocolat et de limonade. » Les marchands prennent l’habitude d’y venir ce jour-là. Ils étalent leurs peintures ou leurs antiques ; on les laisse pérorer et,