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heure chez le fameux Piranèze, dessinateur et graveur, qui a un cabinet curieux de toutes sortes d’antiquités en marbre, vases, figures, tombeaux, et de matières précieuses ; il en cède pour le plus d’argent qu’il peut ; c’est un homme qui a fait des ouvrages immenses et curieux en gravure. » On est assuré de la présence de Frago dans ce cabinet de Piranesi, où il enflamme l’enthousiasme de Bergeret ; et il est aussi aux Chambres du Vatican, pour expliquer à M. Jourdain émerveillé « que c’est là où se forment tous les habiles gens. »

Où il n’est point, c’est aux réceptions des cardinaux et des. princesses romaines, aux conversazioni chez le cardinal de Bernis et chez sa nièce, la marquise de Puy-Montbrun, maisons de bon accueil pour les Français de distinction qui y font, dès l’arrivée, les relations dont ils ont besoin. Bergeret père et fils rêvaient d’y carrer glorieusement leur vanité ; mais ils s’en dégoûtent vite, car, si les grands appartemens illuminés font un beau coup d’œil, les femmes sont cérémonieuses à l’excès, et les « avaleurs » de glaces et de limonade apportent un mortel ennui. Ce qui manque le plus dans ces réunions traditionnellement sévères, ce sont précisément les conversations alertes, à la française, et sur des sujets intéressans. Sans s’en apercevoir peut-être, le financier vient d’apprendre à les goûter en la compagnie de Frago. Il rentre au logis de la place d’Espagne, mécontent de sa journée, assurant ses compagnons qu’ils ont beaucoup mieux que lui employé leur temps, au dessin ou à la promenade, promettant ne lus plus quitter et acceptant, bien entendu, dès le lendemain, d’autres invitations. Il y a des semaines où, presque tous les soirs, il dine dehors, chez le cardinal de Bernis, qui le prie quelquefois un jour sur deux ; chez le cardinal Orsini, locataire du palais Farnèse ; ou chez l’abbé de Bayonne, auditeur de rote pour la France. Partout on retrouve les mêmes habits noirs et les mêmes soutanelles. Ce serait un peu monotone, si l’on n’avait les divertissemens du carnaval, les concerts de castrats, les cérémonies de la Semaine sainte, où l’on voit officier le Pape, et les « stations, » où l’on a l’honneur d’offrir le bras à Mme de Puy-Montbrun.

La vie de Frago est bien plus agréable en ses heures de liberté que celle du financier, dont il ne se prive point de railler les ridicules avec ses amis. Il muse et travaille à son gré ; il retrouve les meilleurs souvenirs de son premier séjour