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la France, recherchée, aimée, apparaissant à tous les détours de la conversation. Une cinquantaine de personnes résumaient ici la société francophile de Rotterdam, très dirigeante, très agissante, malgré certains élémens un peu autres qui existent aussi dans une ville toute pénétrée par le commerce allemand. Néanmoins, même de cette ville il n’est pas hasardeux d’avancer que, si elle contient des élémens germanophiles, elle n’en contient pas d’antifrançais. Mon hôte, très renseigné sur son pays, m’affirme que même ceux qui en Hollande sont encore progermains ne sont à aucun degré hostiles à la France. ; « La France est partout admirée et aimée chez nous, » telle est sa conclusion. Et tout ce que nous avons vu, mon compagnon et moi, nous porte à y souscrire.

Cependant que nous attendons l’un et l’autre, à Rotterdam, le coup de téléphone du départ, le printemps essaye ses premiers sourires, et le soleil s’enhardit. Tout à coup, une autre Hollande se dévoile. Ce n’est plus le pays des brouillards, c’est celui de la lumière, de la magnifique lumière caressante, vaporeuse, » célébrée par Fromentin. Son éclat doucement diffusé a quelque chose d’affectueux, de maternel. Au lieu de dessiner et de découper les choses, elle les enveloppe, les épouse, les caresse. Partout ce sont des Mieris, ce sont des Mesdag. D’une baie au Haringvliet, où j’admire avec mes hôtes les jeux du soleil couchant sur la Meuse, j’ai sous les yeux des Van de Velde en action, mais combien plus élargis et puissans ! Ces derniers jours, dont chaque heure risque de n’être suivie d’aucune autre, se passent en contemplations, en conversations, en réflexions d’une douceur exquise. On repense à ces six semaines de préoccupations patriotiques, d’efforts, d’espoirs réalisés et dépassés. On se promet de mieux connaître ce peuple qui s’est révélé à nous si ami, si compréhensif, si proche de nous par l’âme, timide et même un peu gauche d’abord, puis si passionné, si enthousiaste, si tendre ! Il faudra revenir. L’avant-goût qu’on emporte a trop de saveur pour s’en tenir là. On voudrait maintenant le parcourir… Mais on appelle au téléphone. Rien qu’on soit préparé au départ, on l’est moins à la séparation. Elle est pénible. Au revoir, chère petite Hollande ! Quand l’auto démarre, on sent qu’on a laissé là quelque chose de son cœur.


S. ROCHEBLAVE.