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contemplation absorbante, et, au lieu de dire : « Enfin ! » nous disons : « Déjà ? » Vite, utilisons les momens extrêmes. Je cours une dernière fois au South Kensington, pour voir, dans la galerie du sous-sol à droite, la sculpture française. Et je tombe en arrêt, au coin d’une fenêtre, devant le buste de fillette, en marbre, dont j’ai poursuivi, en France, la terre cuite chez un amateur, et le moulage au petit musée de Châlons, sous une attribution fausse… Cette enfant coiffée de trois tresses, c’est la fille de Mme de Pompadour, Alexandrine d’Etioles ; et l’auteur, Jacques Saly, n’a rien fait de plus savoureusement français que le buste original du musée de Londres. Cette petite découverte (mais en est-ce une ? ) met une joie d’art dans cette dernière journée. Une joie d’autre sorte, joie du cœur, est le contact définitif pris avec le noble soldat (il portait encore l’uniforme) qu’une heureuse conjonction de circonstances me donne pour compagnon de route, et qui va devenir en Hollande mon guide combien précieux, et mon ami. Gustave Cohen, professeur français de l’Université d’Amsterdam, mobilisé en 1914 comme sergent, blessé de dix blessures en Argonne, retourne à son poste d’université, réformé, avec neuf éclats de fer encore logés dans le corps, invalide pour le combat, héroïquement valide d’âme et d’esprit pour la défense morale de la France à l’étranger. Il rentre en Hollande appuyé sur deux cannes, officier maintenant, avec la croix de guerre et deux citations, après des mois et des mois de tortures auxquelles il aurait succombé sans la femme d’élite qui veillait à son chevet. Ensemble, nous faisons les plans de cette nouvelle et pacifique campagne dont l’objet est si simple : montrer le vrai visage de la France à ceux qui l’ont peut-être oublié, et le faire aimer un peu plus de ceux qui s’en souviennent encore. Et maintenant, en route ! Enfin, demain à Hull, après-demain à Rotterdam ! Ainsi raisonne notre ingénuité d’avant-guerre.


9-12 février.

Le vendredi 9, à neuf heures du matin, joyeuse bousculade à la gare de Kings-cross. On s’empile comme on peut dans les voitures d’un rouge rutilant. Tout est bondé. Le soleil, pour une fois levé de bonne heure, rit sur la plaine neigeuse. On roule en pays plat, plat. En passant, je salue les tours et les clochetons de la célèbre cathédrale de Péterborough. Voici