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Cependant, vers le matin, le brouillard monte, s’épaissit. Il faut stopper, des heures, puis approcher comme à tâtons. Enfin voici Southampton. Le contrôle des voyageurs est fait par un grand vieillard sec, dont les manières disent le haut gentilhomme, sans doute un volontaire du service national. Peu après, c’est Londres, et tout de suite la police, bien entendu. Non seulement il ne faut pas s’en plaindre, mais il faut s’en applaudir. Tout de même, l’enquête anglaise déploie un une minutieux qui n’est qu’à elle. Et nous sortons du commissariat guéris de ce premier préjugé, que la France détient le record des « formalités. »


VISIONS ANGLAISES

3-9 février.

Malgré notre vif désir d’atteindre la Hollande au plus vite, nous n’avons pu brûler l’étape de Londres. Déjà la guerre nous impose ses haltes imprévues. Arrivés le samedi 3 au soir, nous ne pourrons repartir que le matin du vendredi 9 pour le port que l’on nous désignera. Nous sommes entre les mains de l’amirauté. Tout d’ailleurs, ou presque, est entre ses mains ; et, ce que l’amirauté anglaise tient, elle le tient bien. Nous sentons maintenant le mystérieux, et même le romanesque de notre situation. Il faut demeurer le plus possible consignés au gîte, valises bouclées, prêts à disparaître sans bruit sur un signe. Et ce signe, ordre oral ou avis téléphonique voilé, doit être obéi aveuglément : « tel train, telle heure, pour telle ville. Là. vous saurez la suite. » La suite, c’est le commissariat et les agens maritimes du port d’embarquement qui la fournissent, avec des délais, des renvois, des réticences qui distillent le mystère au compte-goutte. Dans la morne chambre d’hôtel de Londres, on rêve déjà du vaisseau-fantôme qui vous emportera… quand il lui plaira.

Du reste, tout est « fantomal » en ce moment, dans le Londres étrange qu’a créé la guerre. Cet aspect est dû au brouillard sans doute, qui jamais nulle part ne fut plus pesant, plus accablant, plus glaçant, transperçant les organes et poussant sa pointe cruelle jusqu’à l’âme la mieux armée de volonté. Mais il est dû aussi à cette activité muette, sombre, qui se développe comme inexorable à travers cette brume, et qu’on sent tout