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Passion ; déjà, elle a porté sa croix de douleur, bu le fiel et le vinaigre, connu l’amertume des trahisons. Sa souffrance n’est pas finie. Avant l’ultime sacrifice et la victoire, elle célèbre encore une fois la Cène et elle atteste, en rompant le pain, l’union de tous ses fils. Dans une joie grave et voilée comme le ciel, sur ce sol étranger, elle affirme son invincible espérance, car les peuples méritent de vivre quand ils n’ont pas craint de mourir et, pour celui-là, se lèvera un jour, bientôt, le soleil de Pâques.

L’office se termine par une commémoration des morts, auprès de la stèle pavoisée. Un officier dénombre et nomme les glorieux morts du régiment. Il invite leurs camarades, agenouillés dans l’herbe, à se rappeler toujours « ceux qui sont dispersés dans les abîmes et les neiges du Monténégro et de l’Albanie, » et à prier pour l’éternelle félicité de leurs âmes.

Il y a ensuite une revue passée par les généraux, un discours du colonel qui redit l’histoire épique de Stévan Sindjélitch, puis des exercices de gymnastique exécutés avec une sûreté et une grâce extrêmes par des soldats. Enfin le repas. rustique, servi sous l’auvent de feuillage et composé de plats serbes un peu surprenans pour le goût français, mais agréables, quoique très chargés en poivrons. Une dépêche du prince régent est lue, au dessert, et l’on porte des toasts aussi nombreux qu’enthousiastes. L’éloquence du capitaine Milan V. G… ne tarit pas. Cet officier de forte corpulence et de haute taille, à la voix sonore, au geste facilement affectueux, le meilleur garçon du monde et le plus liant, adore les cérémonies où sa place est marquée. Il faut le voir, toujours occupé des autres, présentant celui-ci à celui-là, expliquant aux dames les mystères de la politique et le sens des coutumes serbes, racontant ses souvenirs de diplomate et ses aventures de guerrier, disant ses vingt-trois batailles, ses blessures, ses décorations, pêle-mêle avec ses impressions de Paris et de Constantinople, jamais fatigué d’improviser un discours, de faire un conte, de tourner un compliment, de danser la kolo nationale. On ne conçoit pas une fête serbe sans le capitaine Milan V. G…

Pendant le banquet, un soldat est venu réciter un poème : La tombe de Sindjélitch, qu’il a composé pour la circonstance, et qu’il récite avec un art instinctif et des manières très nobles.

« Le temps a passé, mais l’on s’en souvient encore, de ce