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— Z… est mon baromètre, me disait P…

— Annonce-t-il le beau temps ?

— Ma foi ! je le crois au « variable, » car, hier, dans la même phrase, coupée par l’arrivée de son chef, cet excellent Z… m’a dit tu et vous, sans hésiter…

Cela résume l’attitude de la Grèce… Elle aussi nous dit tu et nous dit vous.

Et dans le malaise général, la bonne ville de Salonique voit approcher la fête onomastique du Roi. Les journaux annoncent un Te Deum solennel à Sainte-Sophie et une retraite aux flambeaux, et tous implorent Sa Majesté qui porte le nom du dernier empereur de Byzance et du premier fondateur de Constantinople, afin qu’elle fasse le beau geste attendu : qu’elle renvoie Skouloudis et conduise elle-même sa vaillante armée contre les Bulgares… !


Pendant que la ville se revêt de blanc et de bleu, comme une Enfant de Marie vouée aux couleurs de la Vierge, pendant qu’on prépare les orgues pour le Te Deum et les torches pour la retraite, les Serbes achèvent de débarquer à Mikra.

En dépit des mines et des sous-marins, en dépit des espions qui infestent les îles de l’Archipel et les côtes découpées du Péloponnèse, notre marine a réalisé ce miracle de transporter toute une armée de Corfou à Salonique, sans perdre un bateau, sans perdre un homme ! Le peuple martyrisé, assassiné, dont on disait : « Il ne revivra jamais plus pour la guerre, » achève sa résurrection. En vérité, c’est un beau jour que celui-ci, où le dernier contingent serbe arrive en Macédoine, dans ce coin de terre qui va de Sédès à Mikra et qui est maintenant la Serbie.

Car, elle est là, vivante devant nous, vivante en son armée encore douloureuse et meurtrie, mais vaillante. C’est pour l’aider à renaître que nos marins ont dragué la mer, que nos soldats ont remué le sol, que l’on a fait surgir les baraques, les hangars, les appontemens, dans la baie solitaire, et plus loin, sur le sol ondulé, les champignons bruns et blancs des tentes. La Serbie est là ! Comme une guerrière blessée s’assied au bord de la route et se repose avant de repartir vers le combat, la Serbie fait ici une halte suprême, — après Santi-Quaranta, après Corfou ! — et son âme tressaille en regardant, par-dessus les montagnes, les crêtes lointaines du Balkan.