Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les Grecs à M. Protopappas et toutes les dames grecques à son épouse. J’ai vu des types très différens, dans les salons de Salonique où l’on essaye de vivre un peu la vie mondaine.

Ces salons ne sont pas très nombreux. Plusieurs familles riches sont en deuil. D’autres, épouvantées par la menace bulgare, sont allées en Vieille-Grèce. Quelques dames courageuses restent encore, qui ouvrent volontiers leur maison, sans grande cérémonie, donnant ainsi aux artistes amateurs l’occasion de se produire. On joue le bridge ; ou écoute un peu de musique ; on entend les racontars du jour. Des hommes qui portent en France des noms célèbres se retrouvent là, sous l’uniforme, avec des chefs militaires glorieux, des médecins, des aviateurs, quelques officiers permissionnaires venus du front, des mamans tranquilles et des jeunes filles élevées à l’occidentale, moins timides que nos provinciales de France et très bien renseignées sur notre littérature et notre théâtre. On voit aussi dans ces salons deux ou trois officiers serbes, un ou deux marins italiens, des consuls de Puissances alliées avec leurs femmes ; quelquefois une infirmière qui a bien gagné une soirée de repos et de détente. Les civils, ce sont les Saloniciens, qui, dans cette minuscule lia bel, parmi tous ces uniformes, semblent être les personnages anormaux et imprévus !


Il n’y a pas de véritable vie intellectuelle à Salonique, en dehors de la vie scolaire. Il n’y a pas d’artistes, de savans, d’écrivains. Toute l’activité des hommes est tournée vers la politique ou les affaires qui, avec les incidens de chaque jour, fournissent le thème ordinaire des conversations. En revanche, que d’intrigues se nouent et se dénouent qui mettent en jeu l’ambition avouée ou secrète, les intérêts de toutes sortes, la passion du gain ! Ici, les choses et les gens se prêtent à tous et ne se livrent à personne, ce qui trouble désagréablement l’Occidental et lui ôte la sensation de pleine sécurité. Un peuple composite, instruit par une expérience séculaire, regarde en spectateur l’histoire qui se fait, sur son propre sol, à son profit ou à son détriment, mais jamais par sa volonté libre et ses mains. Il considère avec scepticisme les maîtres de l’heure, sachant bien que l’heure passe, et qu’une étrange fatalité, en ce coin du monde, ne permet pas au conquérant une définitive