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bourgeoise d’Athènes lorsqu’elle épouse un lieutenant aux yeux bleus, à la moustache retroussée, à la taille pincée par le dolman strict, un beau lieutenant sans fortune. Et elle avait conclu par cette réflexion mélancolique :

— Autrefois, les mœurs étaient plus pures et les mariages plus heureux. Maintenant, les hommes veulent de l’argent et trompent leurs femmes. Les pères de famille sont bien fous de rechercher des militaires comme gendres, parce que c’est la mode… Ils donnent des cent mille francs pour un petit officier qu’on aurait eu pour trente mille, il y a quelques années… Ah ! bientôt Athènes sera plus corrompue que Paris…

Cette ingénue Mme Protopappas était persuadée que Paris est la sentine de tous les vices. Elle m’a posé la question classique :

— Vous allez souvent au Moulin-Rouge ?

Elle a été fort surprise parce que je ne connaissais pas mieux qu’elle ce lieu de délices aujourd’hui consumé par le feu purificateur. Les prévenances dont mes compatriotes m’ont entourée, pendant quelques jours de maladie, ont achevé de renverser ses idées sur les mœurs françaises. Déjà, elle avait marqué un étonnement sans bornes en voyant le portrait de mes enfans. Elle supposait qu’en France, les femmes du peuple, seules, ont plus d’un enfant. Les autres femmes ne daignent… Ainsi détrompée, Mme Protopappas inclina peu à peu vers le scepticisme et elle opposa même aux enthousiasmes germanophiles de son époux cette idée simpliste, mais juste, « que tout ce qu’on raconte n’est pas vrai, que ni les Français ni les Françaises ne ressemblent aux êtres abominables qu’on voit dans certains romans à couverture jaune ou dans certaines pièces de théâtre ; qu’ils ne passent pas leurs nuits au Moulin-Rouge, que les femmes ne sont pas forcément des mères dénaturées et que les maris ne sont pas plus infidèles ni pas moins fidèles que les maris grecs… Et si l’on débitait des mensonges à propos des mœurs, on en devait débiter également à propos de la politique !… » Raisonnement bien féminin, mais logique, mais irréfutable ! J’ignore si M. Protopappas fut convaincu, mais je suis sûre qu’au fond du cœur, Mme Protopappas est devenue francophile, par sentiment, par instinct, — peut-être aussi par esprit de contradiction…

Il ne faudrait pas tomber dans ce même défaut de jugement que nous reprochons aux étrangers. Dieu me garde d’assimiler