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la guerre aux moustiques. Médecins, hygiénistes, bactériologistes, travaillent à détruire ces légions innombrables, plus dangereuses, actuellement, que l’armée bulgare. Mais il faudrait assécher un espace immense, toute cette marécageuse vallée où s’infiltrent les eaux du Vardar, où les eaux des étangs se répandent, cachées sous de fausses prairies qui sont des roseaux pressés d’où monte un relent de vase.

Ici, l’ennemi le mieux armé, le plus constant et le plus féroce, c’est l’été. Combien de Français ne s’en doutaient pas, qui ont fait le voyage gaiement, et qui ne prendront jamais le bateau du retour ! Combien d’autres, là-bas, en France, ne s’en douteront jamais, qui attribuent la lenteur des opérations militaires aux délices de la Capoue macédonienne… Ceux-là écrivent : « Il paraît que la vie est charmante à Salonique et que l’on s’y amuse beaucoup… » Je leur souhaite d’y goûter, quelques jours seulement, à cette vie charmante !

Je me rappellerai toujours les réveils dans la chambre que la nuit n’a pu rafraîchir. A six heures, sous la moustiquaire, Je sens déjà l’oppression de la chaleur qui menace. Les petites souris qui trottinaient jusque sur la table à thé, pendant mon sommeil, ont regagné leurs trous ; les moustiques, collés aux murs, ont cessé leur danse et leur fanfare ; mais les mouches, excitées par la clarté qui filtre entre les persiennes, quittent le plafond, se précipitent sur tout ce qu’il y a de plus fragile et de plus frais, sur les fleurs, sur le linge blanc, sur les morceaux de sucre et les miettes de biscuit…

Dehors, les pouilleux qui ont dormi à même les dalles s’étirent paresseusement et n’ont pas encore la force de s’injurier. La lumière est encore limpide ; elle baigne d’or léger et de fluide azur les pierres du quai, l’eau soyeuse qui se plisse à peine contre la coque rouge et noire des cargos. Les tramways glissent et grincent, les camions tressautent ; des soldats défilent. Néanmoins, le quai sans flâneurs semble vide et c’est l’heure où l’on aimerait marcher, avec l’illusion du silence et de la fraîcheur. Passent les pêcheurs chargés d’ancres et de longues rames, le laitier turc ? coiffé du turban, poussant son âne qui porte deux outres jumelles faites de peaux cousues, où l’on reconnaît la forme du bouc. Il s’arrête sous ma fenêtre, prend une tasse d’étain qu’il remplit, en faisant gicler le lait de l’outre, d’un geste antique. Les vagabonds, vautrés, tendent