Ils prouvent que les Rhénans, en dépit de Sybel, ont été peu touchés des bienfaits que leur apportait la Prusse. Dès le mois d’août 1816, le conseiller de gouvernement Schwerz signale de Coblence à Hardenberg que les annexés sont déjà mécontens. « Il n’y a plus ici une seule personne, dit-il, qui ne remercierait Dieu à deux genoux, si les Français redevenaient les maîtres du pays. » En 1817, dans un rapport adressé au chancelier, le ministre Altenstein reconnaît que les habitans de la rive gauche ne sont presque pas Allemands et que « le caractère de la nationalité s’est chez eux effacé en grande partie. » Dans une lettre du 29 septembre 1818, écrite au cours d’un voyage sur la rive gauche du Rhin, Genz découvre que les Prussiens sont universellement haïs par les populations. Le 28 octobre 1830, au milieu de la crise provoquée par notre révolution de Juillet, le général Rochus von Rochow, qui vient d’inspecter la province, exprime toute sa défiance pour les habitans dans l’une de ses Lettres confidentielles : « En termes modérés, mais pourtant sérieux, j’ai fait remarquer qu’aucun Rhénan ne devait être commis à la garde des forteresses. Car si notre armée, un jour à venir, devait avancer vers la frontière ou vers les Pays-Bas, les citadelles du Rhin seraient exposées aux plus grands dangers, tant qu’elles seraient occupées par des troupes rhénanes. » En 1840, Venedey, natif de Cologne, mais personnellement converti à l’idée allemande, avoue que ses compatriotes haïssent les Prussiens ; il confesse que beaucoup, « mus par un vil sentiment d’égoïsme, » seraient enclins à favoriser les projets de la France.
Une autre déposition non moins digne d’intérêt est celle de Karl Schurz. Celui-ci est né en 1829 près de Cologne et a joué un certain rôle auprès de Kinkel pendant la révolution allemande de 1848. Emigré plus tard en Amérique, il y a occupé de hautes situations politiques et il a écrit ses mémoires bien après la guerre de 1870, à une époque où la gloire de l’empire bismarckien éblouissait les imaginations. Les souvenirs de jeunesse de Schurz reposent donc sur des impressions qui remontent aux environs de 1848. Or, il constate lui aussi l’antipathie des Rhénans pour la Prusse et leur attachement à la France. « La rive gauche, dit-il, dont la population enjouée aime la vie facile, avait passé, pendant un laps de temps relativement court, par des destinées diverses. Avant la