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On trace sur le sol, qui, malheureusement, est maintenant le sol de la France, une figure en forme d’angle ouvert, s’appuyant d’une part sur la mer et d’autre part sur Verdun, le sommet de cet angle étant La Fère-Laon ; dans la région ainsi délimitée on laissera l’ennemi s’engager en direction de Paris, de façon à l’entourer et à l’enserrer à l’heure opportune par les deux côtés du dispositif. Mais c’est le côté gauche qui accomplira la manœuvre principale par une attaque de liane, prolongée au Nord par une tentative d’enveloppement. Supposez une première « bataille de la Marne », qui lutterait pour sauver le massif de Saint-Gobain au lieu de le laisser à l’ennemi.

La date et les conditions prochaines de la bataille résultent de ces mots : « par des forces nouvelles prélevées dans la région de l’Est. » Ils indiquent le travail d’équilibre qui s’accomplit dans la pensée du chef. Cet extraordinaire « roquage » qui — du moment où la Trouée de Charmes est barrée — fait passer les troupes de l’Est à l’Ouest en présence del’ennemi.va tromper celui-ci sur les emplacemens exacts de nos armées et causer chez lui une surprise inverse de celle qu’il nous a ménagée en Belgique.

Manœuvre à la fois extrêmement simple et extrêmement hardie. Elle consiste à porter le maximum de forces au point où l’on veut obtenir le maximum de résultats. Double avantage : déplacer l’axe de la bataille et, par conséquent, reprendre l’initiative ; surprendre l’ennemi en lui opposant des formations qu’il n’a pas prévues et sur lesquelles il sera mal renseigné. La manœuvre rappelle celle de Frédéric II à Lissa, mais dans les proportions de la guerre moderne. Il faut supposer une confiance vraiment inouïe dans la stratégie des voies ferrées pour poser un tel problème en pleine bataille et surtout pour le résoudre. Les trains vont devenir l’arme principale du grand chef sorti de l’arme du génie[1].

Le temps nécessaire pour exécuter cette manœuvre sans précédent dans l’histoire militaire est calculé exactement, et c’est

  1. Il serait injuste de ne pas mentionner ici les services rendus, notamment dans toutes les questions d’organisation et de chemins de fer, par le général Belin, major général. Ces services sont reconnus par la citation suivante : « Comme major général, a fait preuve des plus remarquables qualités d’intelligence et de caractère et a été pour le Commandant en Chef le plus précieux collaborateur dans la préparation des opérations couronnées par les victoires de la Marne et de l’Yser. »