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impulsif, un improvisateur. Il doit dédaigner l’éloquence de parlement et de meeting, en fuir les habiletés et les succès, ne pas chercher l’équilibre entre les contraires, et jeter loin de lui le balancier. Il doit dépouiller tout oripeau de phraséologie et d’idéologie, toute foi de cénacle, tout principe de secte, toute maxime d’école, se faire toute observation, toute réflexion, toute raison, toute action. Surtout, surtout, sa dictature ne doit pas être verbale. Ce serait alors la suprême illusion. Ce que Kérensky a fait jusqu’à présent défend de penser que son pays se soit trompé en faisant reposer sur lui ses dernières espérances. Dans la Russie bouleversée, envahie, déchirée du dedans et du dehors, où le peuple et l’année sont en proie à tous les fermens de dissolution, il ne suffirait pas que l’homme attendu, inconnu hier, aujourd’hui providentiel, fût un Danton entre les partis : il faudrait que ce fût, entre les nationalités, un Pierre le Grand, sans couronne et sans dynastie, sans ancêtres et sans descendans, un isolé, un solitaire, l’âme unique et universelle en qui s’incarne la nation, qui est pour elle, à l’heure fatale, comme le lien visible et tangible de son unité. Il faut associer et fondre ensemble le gouvernement et la guerre, la conception, la direction, l’exécution. La tâche est écrasante, accablante, surhumaine selon la mesure ordinaire de l’humanité la mieux partagée. Ce n’est pas trop de s’y mettre à deux, et à deux qui ne fassent qu’un, Kérensky et Korniloff. Si Pergama dextrâ

Mais quelle angoisse ! Riga est prise, ou plutôt livrée, la Baltique perdue, la route de Pétrograd ouverte, toujours pour la même cause : « Plusieurs de nos régimens, avoue le communiqué, ont abandonné volontairement leurs positions, et nos contre-attaques n’ont pas réussi. » Cependant les « défaitistes » consciens ou inconsciens ne cessent pas de pérorer, et les congrès à côté se succèdent, avec des motions extravagantes. Malgré Tarnopol, malgré Bojan, malgré Riga, malgré la lâcheté contagieuse et malgré la trahison épidémique. Ce n’est pas l’Allemagne, c’est Korniloff que ces fous désarment. Ou le gouvernement en brisera la niaise et scélérate engeance, ou il n’y a pas de gouvernement. Ou Kérensky les fera taire, ou il n’aura lui-même été, dans le deuil de la patrie, qu’un roseau chantant, au milieu des flûtes funèbres.

Nous ne nous sommes tant étendu sur cet épisode de l’Assemblée de Moscou, qui n’eût offert en soi qu’un médiocre intérêt, que parce qu’il nous a peint, en un raccourci saisissant, l’état au vrai de la Russie, et parce que l’état de la Russie, si ce n’est pas, quoi qu’il arrive, la « catastrophe, » si même il ne saurait fixer ni hâter le