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disons n’est pas pour le détourner, bien moins encore pour le dégoûter de ce régime; mais pour lui rappeler que la principale vertu en est la souplesse, qui permet, et qui commande, de l’adapter aux circonstances.

Les embarras du gouvernement provisoire lui viennent, à l’intérieur, d’une part de l’antagonisme des partis, et, d’autre part, des revendications des nationalités. L’ajournement, pourtant forcé, de la Constituante soulève des protestations, surtout parmi les groupes de gauche qui craignent que chaque jour n’accroisse la vigueur de l’esprit contre-révolutionnaire. (Nous apprenons par-là qu’il y a, comme nous nous en doutions, un esprit, des tendances ou des intentions contre-révolutionnaires que, pour les éventer et les détruire, on ne tardera pas à hausser à la dignité de complot.) En face d’eux, les partis bourgeois boudent ou du moins se réservent. Les milieux gouvernementaux déplorent l’attitude irréconciliable que les cadets et leurs pareils affichent envers les associations démocratiques, dont la majorité soutient le ministère. Dans l’opinion et dans la presse, on avait tout d’abord traité négligemment l’Assemblée de Moscou ; mais peu à peu l’on s’est accoutumé à la prendre plus au sérieux. Ce n’est pas qu’à la veille même de la réunion de l’Assemblée, on s’en promit de très grands résultats. Tous les partis, nous le répétons, s’y rendaient, dressés sur leurs ergots, crêtes les uns contre les autres : les cadets et les classes bourgeoises, contre les socialistes qu’ils accusent de la désorganisation de l’armée et du pays ; les socialistes et les classes ouvrières, contre les bourgeois qu’ils accusent de réaction, ou proprement de contre révolution. Les membres des Soviets n’y allaient que sous une règle d’airain ; ils juraient que nul d’entre eux n’y ouvrirait la bouche, sans s’être fait délier la langue par son président. La plupart des « maximalistes » y voyaient un champ d’intrigues, ensemencé par les classes possédantes. Certains d’entre eux se démenaient, proclamaient qu’ils ne pourraient pas « appuyer » des mesures de caractère impérialiste tendant à la prolongation indéfinie de la guerre. C’était la vieille antienne de Lénine, chantée, sans le chef d’orchestre à qui l’on avait cassé son bâton, par les choristes de Lénine.

Les nationalités, elles aussi, ou quelques nationalités, comme si elles n’eussent été que des partis, s’agitaient, et c’était encore beaucoup plus grave. Une fois tombé le manteau impérial qui, rassemblant et recouvrant des membres disjoints, donnait à leur tas informe l’apparence extérieure d’un État unifié sous un autocrate, toutes les