Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/475

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Russo-Roumains aient paru se reprendre, les Impériaux, à Bojan, en Bukovine orientale, ont profité d’une défaillance inexcusable, qui mériterait un nom plus sévère, et qui surtout appellerait, comme exemple et comme remède, un prompt châtiment: ils ont touché, au Nord du Pruth, la frontière de Bessarabie. Cette défaillance, après tant d’autres qui dénotent ou dénoncent une infection générale, enhardit naturellement Hindenburg et le raffermit en ses mauvais desseins. Sans voir, dans le geste qu’il esquisse, rien de plus que ce qui y est contenu pour le moment, le fait est qu’il vient de passer la Dvina au-dessous d’Uxkull, et qu’il se met ainsi sur un chemin dont Riga ne serait peut-être que la première étape. Par toutes ces défections et toutes ces désertions, le cœur et la tête de la Russie sont découverts. Pour l’Entente, si l’on ne veut pas que fasse faillite, et s’il ne faut pas que fasse faillite la formule de « l’unité d’action dans l’unité de front, » il est temps de reconstituer un front oriental.

Le mal n’est pas seulement dans une armée, mais dans toutes les armées russes, ni seulement dans les armées, mais dans tout le corps de la nation : il n’est pas militaire, mais politique. Quelles qu’en soient les manifestations, elles se ramènent toutes à ceci, comme cause profonde, que, depuis la Révolution, il y a toujours eu deux gouvernemens, au moins, c’est-à-dire qu’il n’y a jamais eu de gouvernement. Depuis six mois que la Russie est sortie du tsarisme, elle n’est entrée, en droit, dans aucun autre régime. Elle n’a pu que prolonger un provisoire, un à peu près, à travers lequel elle se traîne, en se consumant. Il y a une République de fait, ou plutôt il y a une absence d’Empereur. Mais rien d’autre. Ce n’est pas ce qu’avaient voulu, à l’aube de la liberté, les auteurs de l’affranchissement. Leur faute a été de ne pas se prêter mieux ou de ne pas s’attacher davantage à l’introduction d’une monarchie constitutionnelle, qui était la transition indiquée entre l’absolutisme et la démocratie. Il eût été sage, en pleine guerre, d’épargner au pays de trop violentes secousses, une rupture totale d’équilibre, le renversement subit du pour au contre. On ne l’a pas fait, et le philosophe peut juger qu’une occasion a été manquée et qu’une erreur a été commise. Mais enfin, on avait prévu la formation, dans le plus bref délai possible, d’un gouvernement définitif par les soins d’une Constituante. Cette Constituante devait être convoquée presque aussitôt; mais c’était la première assemblée, en Russie, qui eût été élue par un suffrage vraiment populaire et universel, et c’était la guerre ; on se heurtait à toute sorte de difficultés, et tout de suite à une difficulté de