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une bataille, mais je ne peux que désirer ardemment ce grand bonheur : » prière que paraphrase éloquemment un passage de l’admirable testament spirituel écrit par lui quelques heures avant sa mort glorieuse : « Je suis heureux d’offrir ma vie à la patrie, fier d’en faire un aussi noble usage, dans cette éclatante journée de soleil automnal, au milieu de cette vallée enchanteresse de notre Vénétie, pendant que je suis encore dans toute la force de mon esprit et que je combats cette guerre sainte pour la liberté et pour la justice[1]. » Des âmes aussi hautes appartiennent sans doute à des êtres d’exception : l’existence même n’en fait pas moins honneur au pays et au milieu moral dont elles sont issues et la révélation de leurs vertus a été l’œuvre indirecte de la guerre.

C’est à la guerre également que l’Italie est redevable d’une autre satisfaction, à laquelle ne se mêle cette fois aucune pensée de regret. La réunion de tous ses enfans sous le même drapeau a puissamment contribué à consolider son unité morale, en abaissant les dernières barrières qui séparaient encore ses classes, ses partis et ses diverses régions. — Cette remarque peut s’appliquer d’abord aux membres du clergé, que les souvenirs de la question romaine avaient longtemps tenus un peu en marge et à l’écart de la vie nationale. Une guerre étrangère leur fournissait naturellement l’occasion de s’en rapprocher et de vibrer à l’unisson des foules sans risquer un conflit intérieur entre leur patriotisme et leur conscience. Pendant la période de neutralité, sans doute, l’attitude politique de certains d’entre eux a été diversement appréciée ; et ce n’est pas ici le lieu de discuter la réalité de ce réveil religieux que leur influence aurait provoquée dans les rangs de l’armée. Ce qui semble indéniable, c’est que ceux d’entre eux qui ont été mobilisés comme aumôniers ou infirmiers ont pris sur leur entourage un ascendant croissant par leur entrain et leur bon esprit. Tous ont donné l’exemple de l’abnégation et quelques-uns même se sont distingués par des prouesses qui nous reportent au moyen âge et à certaines scènes de la Chanson de Roland. Tel par exemple don Carletti, ce chapelain du 207e d’infanterie, dont la figure est déjà devenue légendaire dans l’armée. Au début de l’offensive autrichienne dans le Trentin (15 mai 1916), on le voit

  1. Borsi, pp. 190 et 209 ; — Azione du 12 novembre 1916.