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peuples, elle eût pour effet de détruire presque complètement le travail de fraternité spirituelle commencé par l’humanité. » La sincérité de cet aveu ne l’empêche pas de demander à partir en première ligne dès que son pays prend les armes ; et comme les origines lointaines de sa famille sont françaises, il répond au colonel qui l’interroge sur les motifs de sa détermination : « Mes camarades n’ont qu’une seule patrie, et j’en ai deux à défendre ; je me bats pour l’Italie et pour la France : voilà pourquoi je dois me dépenser tout entier. » Alors commence pour lui la rude existence des Alpes. Son Journal intime, où les épisodes militaires alternent avec les réflexions morales et les citations des Livres Saints, d’Amiel ou de Claudel, contient, un mois avant sa mort, cette poignante profession de foi : « Je voudrais crier toute l’immensité du sacrifice que j’accomplirais si je devais succomber. Mais je ne m’en plaindrais pas, car j’ai voulu être ici, et, si je n’y étais pas, je courrais me jeter dans la lutte pour donner plus de valeur morale à ma vie[1]. » — Enzo Valentini, fils du maire de Pérouse, comblé de toutes les faveurs de la fortune et enrichi de tous les dons de la plus vaste culture, s’engage comme simple soldat, malgré son jeune âge, et tombe en brave trois mois après dans le Trentin ; de la solitude alpestre où il fait sa nourriture spirituelle des livres de Maeterlinck, il adresse à sa famille des lettres qu’anime une singulière intensité de vie intérieure et que caractérisent des réflexions comme celles-ci : « On ne vit vraiment que là où l’on est exposé à mourir pour un idéal ; » ou encore : « La guerre est un miroir qui nous présente notre image et nous inspire ensuite le désir de l’améliorer. Je suis convaincu maintenant que celui-là gâche sa vie, qui ne la consacre pas à la conformer à l’idéal que chacun doit se proposer comme modèle[2]. » — Giosue Borsi enfin, le type le plus représentatif peut-être de cette famille d’esprits, vit pendant tout le cours de la campagne dans une aspiration vers l’au-delà qu’exalte parfois jusqu’au mysticisme la fréquentation assidue des Evangiles, ainsi que des œuvres de saint Augustin, de Pascal et du P. Gratry. Et comment ne pas évoquer à son propos les noms de Péguy et de Psichari, en lisant cette phrase dans une de ses œuvres de jeunesse : « Seigneur, je n’ose te prier de me faire mourir dans

  1. Begey, pp. 13, 32, 66.
  2. Valentini, pp. 36, 59, 91.