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la révolution aurait ajouté une nouvelle douleur à la patrie[1]. »

De ce que ce sentiment ait été celui de la majorité, il ne s’ensuit pas toutefois qu’il fût devenu exclusif ou même prédominant chez tous. Au temps de la Triple Alliance, l’irrédentisme avait un peu souffert du silence officiel imposé à ses adeptes. Certains intellectuels notamment ne voulaient y voir qu’une question sentimentale, à laquelle ils refusaient de subordonner la politique extérieure de leur pays, et professaient même cette théorie qu’ « il y a des circonstances où une nation doit renoncer à une partie d’elle-même, comme un organisme peut trouver le salut dans une amputation[2]. » S’ils n’ont pas été les moins ardens à réclamer l’intervention, c’est pour une autre raison, exposée en ces termes par un volontaire de la première heure : « Nous ne nous sentons aucune propension à la conquête, mais nous sommes par-dessus tout jaloux de ne voir la prépondérance d’aucun État européen devenir une menace matérielle pour nos frontières, morale pour notre prestige et notre liberté de mouvemens[3]. » Ce souci de l’indépendance future a contribué, autant peut-être que les revendications territoriales, à montrer la nécessité de la guerre. Dès qu’elle a éclaté, l’opinion populaire a compris que le triomphe de l’Allemagne marquerait l’avènement de la monarchie universelle, l’assujettissement définitif de l’Italie et la fin des principes sur lesquels repose la liberté des nations. Tous ceux qui ont vécu dans la péninsule aux jours tragiques d’août 1914, se rappellent avec quel intérêt passionné on y suivait les péripéties initiales de la lutte européenne, quelle anxiété sympathique y accueillit la nouvelle des premiers revers français ; enfin, avec quelle sensation de soulagement on y salua, même dans les couches profondes du pays, la victoire de la Marne comme la fin d’un cauchemar et l’écroulement définitif des rêves d’hégémonie germanique. Par la suite, ce sentiment un peu vague de l’équilibre européen se précisa en une aspiration nationale vers la « maîtrise de l’Adriatique » qui permettrait seule à l’Italie d’écarter pour toujours de ses côtes la menace constante d’une offensive navale autrichienne[4].

  1. Pascazio, p. 37.
  2. Borgese, Guerra di redenzione, p. 19.
  3. Lettre de E. Vaina, publiée dans Liberi, p. 234.
  4. Pascazio, p. 132.