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plume des plus illustres écrivains étrangers un langage baroque dont nos derniers gâcheurs de prose ne voudraient pas pour eux-mêmes ; et le public docile, l’éternel docile qu’est le public, voit dans ces impropriétés, dans ces obscurités, dans cette barbarie, autant de savoureux exotismes : une traduction, qui n’aurait pas l’air d’une traduction, lui serait suspecte.

C’est contre ce préjugé que Wyzewa s’est élevé de toute la force de son bon sens, avec toute la sûreté de son goût. Il estimait, lui, que la vraie façon de trahir un auteur, c’est de le traduire littéralement. Il pensait sur ce point comme avaient pensé tous les traducteurs français depuis le XVIe siècle. Ce n’est pas une traduction littérale que celle de Plutarque par Amyot, et le fait est qu’un savant helléniste y a relevé les contresens par milliers. Mais la traduction d’Amyot est un des chefs-d’œuvre de la littérature française, et grâce à elle la pensée de Plutarque a pénétré non seulement notre pensée, mais notre vie française, au point qu’on ne sait si notre XVIIe siècle ou notre Révolution lui est plus redevable. Dans l’ancienne France, on faisait à peine moins de cas d’un bon traducteur que d’un écrivain dit original. Et c’était justice : une traduction digne de ce nom est une entreprise semée de périls. Il s’agit de donner au lecteur français la même impression que reçoivent les lecteurs anglais, russes, italiens, qui lisent leur compatriote dans l’original. Il faut donc recourir sans cesse à des équivalens, mais cette substitution est des plus délicates : où commence, où finit le droit du traducteur ? Question de mesure, affaire de nuance. Telles traductions de Wyzewa, — ses traductions de Tolstoï et de Joergensen, — si claires, si françaises et qu’on devine, au sens vrai du mot, si exactes, sont des chefs-d’œuvre du genre. Et plus encore ses traductions de la Légende dorée et des Fioretti, incomparables pour la naïveté et la grâce. Elles auraient, jadis, ouvert toutes grandes les portes de l’Académie française à Wyzewa, qui y avait si bien sa place marquée, et que, pour tant d’autres raisons, on eût souhaité d’y voir, entre Jules Lemaître et M. Anatole France.

Depuis le début de la guerre, Wyzewa s’était consacré exclusivement à nous faire connaître les livres étrangers relatifs à la crise mondiale. Il s’est attaché surtout à nous montrer les Alle-