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gemens, notamment entre l’armée britannique et l’armée von Kluck. Le 25 août au soir, les corps des armées alliées, par un mouvement général, direction du Sud-Ouest, étaient ramenés sur la frontière française.

Telles sont, au point de vue tactique, les grandes lignes de la « Bataille de Charleroi » ou, plus exactement, des « Combats de la Sambre. » Des trois places fortes qui consolidaient, en quelque sorte, le front de la Sambre, Namur a succombé, Maubeuge est assiégée, Lille, déclarée ville ouverte, est à la merci d’une patrouille de uhlans.

La victoire allemande est incontestable. Les chefs eurent l’impression profonde d’un succès inouï, inespéré. La manœuvre, empruntée aux conceptions de von Schlieffen, la surprise, si adroitement ménagée, avaient donc produit leur effet. Les armées alliées étaient battues ; mises en fuite, elles ne tenaient nulle part. Le résultat était acquis sûrement et brutalement, selon les termes de la prévision de Schlieffen, « comme dans la cour de la caserne, comme à l’école de bataillon. » Certes, les pertes avaient été terribles de part et d’autre, mais qu’importait ? La victoire payait largement le sang des hommes, les risques courus, les années de savante préparation, les sacrifices que l’Allemagne s’était imposés pour devenir une puissance de guerre irrésistible. Et elle l’était, en effet. Au premier choc, la supériorité de sa stratégie, la supériorité de sa tactique, de ses armemens, de ses soldats s’affirmait. Les neutres, les ennemis eux-mêmes n’avaient qu’à s’incliner.

Un enivrement d’orgueil gonfla le cœur des troupes et du commandement lui-même quand fut démontrée et quand se propagea de bouche en bouche la certitude du succès par la manœuvre du grand mouvement tournant. Cette victoire et le retentissement qu’elle eut dans les deux camps donnèrent à l’empereur Guillaume et aux généraux qui avaient joué leur va-tout en Belgique la conviction qu’ils tenaient la maîtrise de la guerre. Napoléon et le vieux Moltke n’eussent pas fait mieux. La bataille de Charleroi était la solution, en quelque sorte mathématique, obtenue par l’opération géniale et si essentiellement allemande, dont la tradition, venue de Frédéric, s’était transmise par Schlieffen à Guillaume. Audace et brutalité, félonie et ruse, le lion et le renard, c’était tout l’acquis de l’art politique et de l’art militaire résumé en une seule