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sa mémoire d’évoquer devant nous l’image de l’homme et de l’écrivain qu’il a été. Et nous devons à la vérité de réclamer, pour un grand talent desservi par une grande modestie, la justice qui ne lui a pas été rendue, en le replaçant au véritable rang qui lui appartient dans la littérature contemporaine et qui est l’un des premiers.

Teodor de Wyzewa était né en Pologne, en 1862. Il y passa toute sa petite enfance. Cette enfance polonaise, telle qu’il la retrouvait dans ses souvenirs, fut dans sa vie une époque enchantée. Zwaniec, sa ville natale, est, s’il faut l’en croire, « la petite ville la plus pittoresque et la plus amusante de l’Europe entière. » La famille Wyzetski habitait là une belle maison avec un jardin en terrasse d’où l’enfant pouvait suivre du regard les longs radeaux de bois glissant sur le fleuve. « Que l’on songe, écrivait-il plus tard, à ce qu’a dû être ma vie dans un tel endroit, avec ce voisinage d’une ville des Mille et une Nuits et ce fleuve sans pareil et ce jardin où j’atteste que des pommes d’or pendaient à toutes les branches... » Soudain, un drame allait bouleverser cette douce enfance. La famille quittait brusquement la Pologne. Quel déchirement ce fut pour Teodor de Wyzewa, rien ne le prouve mieux que le souvenir nostalgique à travers lequel plus tard continua de lui apparaître ce coin de Pologne, tel qu’un paradis perdu.

Les voici dans un village de l’Ile-de-France où ils vont mener une existence misérable. Le père est un médecin sans cliens qui s’en va accoutré comme un mendiant. Nous nous représentons très bien l’effet que devait produire, sur des campagnards moqueurs et méfians à l’étranger, ce praticien bizarre. Ce vieux maniaque était un terrible idéologue, type de l’homme à théories, ayant à propos de tout et sur les plus minces détails de la vie un système, toujours infaillible. Qu’il s’agît d’éducation, d’hygiène, de politique ou de la coupe d’un vêtement, il procédait par principes rationnellement déduits. Tous devaient s’incliner sous cette tyrannie pédantesque. Ce dogmatisme, intolérable à une nature capricieuse et indisciplinée, devait rejeter l’enfant du côté opposé, vers les deux femmes qui allaient faire passer en lui leur propre sensibilité : sa mère, pieuse et tendre, et sa tante Vincentine.

La tante Vincentine ! C’était une vieille fille qui vivait chez