poulets, prit une plume à la volaille et la piqua dans son turban ; et de temps en temps, il la touchait, pour s’assurer qu’il était toujours lui-même.
Moi aussi, j’aurais bien besoin de mettre une plume à mon chapeau ! Sans m’en apercevoir, je suis sorti du quartier silencieux des maisons blanches, et je me trouve tout à coup dans un autre univers, à mille lieues d’ici, en pleine Galicie, au pays des caftans noirs. Plus de haïcks, plus de serviettes-éponges, plus de turbans, plus de pieds nus dans les babouches. Ah ! je les reconnais, ces Juifs vêtus de souquenilles noires, avec leurs ceintures de cuir, leurs chaussettes multicolores retenues par des jarretelles à leurs maigres jambes nues, leurs souliers éculés, et la crasseuse calotte notre posée tout en haut de leur-crâne ! Je les ai vus sous une autre lumière, toujours pareils à eux-mêmes. Même air inquiet et subtil, même empressement à courir vers on ne sait quelle affaire, mêmes femmes alourdies par la graisse, mêmes gracieux enfans. Je respire aussi les odeurs qu’ils transportent partout avec eux au fond de leurs ghettos, qu’on appelle ici des mellahs, — Mellah, ce qui veut dire saloir, car, de tout temps au Maroc, les Juifs ont eu le privilège de saler, pour les conserver, les têtes des rebelles qu’on exposait sur les murailles. Mais les traditions se perdent, les mœurs deviennent débonnaires : j’ai beau regarder autour de moi, je ne vois pas la moindre tête mariner dans la saumure.
Est-ce un souvenir des jours, encore si près de nous, où tout Arabe, en bonne fortune, avait le droit d’entrer chez le premier Juif venu pour y satisfaire son désir ? On a relégué dans ce quartier tout ce que la prostitution de la Méditerranée produit, je crois, de plus affreux. Ici, hélas ! plus de mystère. Tout est tristement dévoilé. La volupté la plus brutale n’est séparée de la rue que par un rideau de mousseline, voire par de paisibles citoyens chargés de la police, qui montent la garde à la porte, écoutant avec un air de sagesse ahurie le tumulte des phonographes mêlé au bruit des flûtes indigènes et de la mandoline espagnole.
Je reviendrai certainement parmi ces vieilles connaissances, chercher dans le tumulte de ces insolentes musiques, l’antique vie d’Israël qui se poursuit ici, et sa chère synagogue. Mais ma blanche demeure est loin de leurs maisons couvertes d’un badigeon bleu, et par la porte du Mellah je rentre dans la foule