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L’inspiration y bat ses rythmes. Son nez est d’un aigle, ses lèvres sont d’un orateur autant que son regard d’un poète… » Son ami Dargaud l’a bien vu ; il a vu sa bouche, grande, bienveillante et agréable qui « tonnera sur la France et sur l’Europe » et qui sait aussi « sourire à une vierge et à un enfant ; » ses yeux, où le bleu se mêle au gris sombre et qui « roulent comme le ciel tantôt des nuages noirs, tantôt des pans d’azur, puis s’illuminent de soudains éclairs. » Voilà certainement un orateur. Mais, comme il se propose d’influer sur le gouvernement de son pays, nous sommes curieux de ses idées, pourtant. Eh ! bien, vers sa trentième année, il n’accordait pas beaucoup de confiance à la liberté. Il raisonnait « en conservateur, » dit M. Barthou. Il écrivait à Mlle de Canonge : « Le seul moyen de gouvernement, c’est la force. » Il n’estime pas que la presse ait droit à la liberté. Il n’approuve guère Decazes et le juge trop complaisant pour la gauche. Cependant, les royalistes ultra le considèrent comme un libéral ; les libéraux, comme un ultra. « Je ne suis ni l’un ni l’autre, » dit-il. Et qu’est-il donc ? Un homme inquiet, dans un temps « où tout ce qui est vieux s’écroule et où il n’y a pas encore de neuf. » Alors, va-t-il chercher du neuf ou consolider ce qui est vieux ? Il hésite. Où vont ses préférences ? M. Barthou se le demande et consulte le Dernier chant du Pèlerinage d’Harold. Ce poème est de 1825. Dans l’« avertissement, » le poète se défend d’être un sceptique, non pas d’être, en quelque manière, un libéral. Le continuateur de Byron, le second poète d’Harold, comment serait-il l’ennemi de la liberté ? Mais il tient à définir la liberté qu’il a chantée : ce n’est pas celle « dont le nom profané a retenti depuis trente ans dans les luttes des factions ; » c’est « la liberté, fille de Dieu, qui fait qu’un peuple est un peuple et qu’un homme est un homme. » Évidemment !… Mme de Lamartine ne lit pas sans être alarmée le poème de son enfant : « Il y a des passages qui me font de la peine. Je crains qu’il n’ait un enthousiasme dangereux pour les idées modernes de philosophie et de révolution, contraires à la religion et à la monarchie, ces deux jalons de ma route qui devrait être aussi la sienne… » Le sentiment de M. Barthou n’est pas tout à fait celui-là ; mais il observe qu’avant de posséder sa doctrine politique Lamartine aura de l’ouvrage.

Il est vrai qu’en 1831 Lamartine écrit La politique rationnelle. Et ce mot de « rationnelle » indique déjà que l’incertitude va diminuer. Le poète médite : et n’a-t-il pas trouvé ses principes ? Les principes une fois posés, la raison tire les conclusions logiques. Il y a, dans La politique rationnelle, une doctrine. M. Barthou la dégage très