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bonnetier, le talent « de renverser les ministères et de bouleverser l’Europe ? » Mme de Girardin ne définit pas autrement la politique de ces négocians ; mais elle attribue de plus nobles aptitudes au poète, qui a coutume « de sonder les cœurs, d’étudier l’histoire, d’éclairer les peuples, de juger les rois et d’interroger Dieu. » Reste à savoir si la politique la mieux désirable consiste en ceci plutôt qu’en cela.

Le poète répond aux bonnetiers, apothicaires et marchands de bois : « Plaisante race, que la race médiocre ! elle se croit inaccessible. » Où réussissent les médiocres, le poète serait tout dépourvu ? Lamartine éconduit ce paradoxe. Et voici Lamartine, selon Sainte-Beuve. On lui parle de Bacon : mais il le sait par cœur et, depuis dix ans, vingt ans, il en fait son étude perpétuelle. L’économie politique ? Il vous dit, les jambes étendues : « Avez-vous jamais mis le nez dans ce grimoire-là ? Rien n’est plus amusant, rien n’est plus facile !… » Un jour, comme il est sur le point de partir pour la campagne, la causerie vient aux fermages et aménagemens de terres : « Comment ! Si je m’y entends, mon cher ami ? réplique-t-il ; mais je m’y entends divinement ! » On observera que Sainte-Beuve est assez malveillant pour ses contemporains les plus admirables ; et, bien qu’il ait si heureusement profité, lui, d’être avec tant de continuité assidu à son œuvre, il était jaloux des poètes et de tous écrivains qui s’élançaient hors de la tâche quotidienne. Puis, il était un homme attentif et qui, cherchant l’exactitude, se méfiait des improvisateurs qui inventent la vérité. D’ailleurs, si l’on récuse le témoignage de Sainte-Beuve, il y a Lamartine lui-même : après un discours relatif aux sucres ou aux rentes, il se flatte de posséder « une immense popularité financière. » Il ajoute : « J’en ris tout bas ! » Il en rit tout haut ; et il s’en régale. Il ressemble à son grand émule Chateaubriand. Le roi disait : « Donnez-vous de garde d’admettre jamais un poète dans vos affaires ; il perdra tout. Ces gens-là ne sont bons à rien ! » Louis XVIII, afin de ne pas avoir auprès de lui Chateaubriand, le nomma ambassadeur. Dès son arrivée à Berlin, le nouveau diplomate commence le cours de ses dépêches ; et il note : « Mon esprit se plie facilement à ce genre de travail. Pourquoi pas ? Dante, Arioste et Milton n’ont-ils pas aussi bien réussi en politique qu’en poésie ?… » Et, un autre jour, il se plaignait au comte de Marcellus, diplomate de carrière : « Parce que nous avons écrit quelques pages de poésie, les routiniers des chancelleries nous accusent d’effleurer seulement la politique ; et ils nous disent incapables d’aller au fond des questions ou même de dresser un protocole, parce que nous ne sommes ni lourds ni décolorés !… » Les