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ensemble, on a bu de bonnes choses… alors, vous comprenez ! Puis, pris d’une inspiration subite :

— Je ne sais plus où je suis ; non, vrai, je ne sais plus ! Est-ce que vous ne pourriez pas me conduire quelque part ?

A côté de la mairie où nous nous rendons se trouve un ancien outchastok. Le nouveau commissariat de police s’y est installé. Mon ami a pris le soldat sous le bras. Très en confiance, il se laisse conduire tranquillement. Le commissariat de la révolution ne lui fait pas peur. On n’y est pas, comme à l’outchastok d’autrefois, accueilli par des injures et des coups.

— Allons, mon brave, nous voici arrivés, dit mon ami en installant sur un banc « le camarade » déjà à moitié endormi. Tâchez d’être à l’appel demain matin à la caserne et de vous garder l’esprit libre pour les élections…

La révolution a changé du tout au tout la physionomie du quartier de Spassky où je me suis rendue hier. On dirait que tout le monde s’y est réveillé d’un long sommeil. La question des élections s’y débat dans toutes les boutiques. Les partis sont entrés en pourparlers afin d’établir un bulletin commun où chacun d’eux aura ses représentans. Au meeting du soir, la salle est comble : gros marchands en vêtemens cossus, étudians en uniformes, petits marchands à la bricole et aussi quelques bourgeois. On est ici partisan de l’ordre, de la constitution, de l’offensive, et M. Milioukoff, paraissant tout à coup derrière la table au tapis vert, y a recueilli un grand succès.

Comment ne pas aller voir, malgré son nom rébarbatif, le quartier de Rojdieslwensky où se présente la très illustre Mme Kollontay, membre du comité exécutif du Conseil des ouvriers et soldats, partisan de Lénine, féministe, socialiste et bolchiviste ? Après cette énumération, quoi d’étonnant si j’ajoute que le quartier est composé de gens d’une grande intolérance politique ? N’ayant pu se mettre d’accord, ils ont dû établir quatre listes différentes, ce qui fait prévoir un beau grabuge pour les élections.

Rien d’intéressant, de significatif, comme ces enquêtes électorales. On glisse un œil dans les boutiques, on entame çà et là et au hasard, une conversation ; on saisit au vol des propos échangés… Tout le caractère du quartier se révèle : qualités, défauts, ambitions… Et les coutumes, et les habitudes, et les traditions !… On n’imagine pas quelle diversité peuvent