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— En temps de paix, soit ; mais aujourd’hui… Il y a des nécessités inéluctables. Dieu veuille que vous n’en fassiez pas bientôt l’épreuve à vos dépens !


A LA VEILLE DES ÉLECTIONS

Les élections municipales, sous le régime de la répartition proportionnelle, vont avoir lieu pour la première fois à Pétrograd. C’est une grande épreuve. Tout ce qu’il y a dans la ville de gens éclairés, et pouvant disposer de leur temps, s’emploie à y préparer le peuple. La tâche sera dure. C’est dans les casernes et dans les usines que s’exerce la plus active propagande. Un de mes amis, un travailliste, M. Jacques Kaplan, s’y efforce de tout son pouvoir. Aussitôt son bureau fermé, il court à la caserne du régiment de Volhynski qui lui a été attribuée. Le régiment de Volhynski est, avec celui des Preobrajenski, le premier qui vint à la Douma pour la défendre, au matin du 27 février où parut l’oukase de prorogation.

— Lorsque j’arrive, me dit M. Kaplan, je suis aussitôt entouré. Chacun s’applique à comprendre cette chose nouvelle pour lui : la responsabilité d’un vote ; et le plus grand nombre y réussit assez bien. Les soldats discutent entre eux, devant moi, la valeur des listes, et je suis souvent frappé de la justesse de leurs réflexions.

Cet apostolat d’un nouveau genre, suscité par les élections, s’exerce parfois jusque dans la rue. Le même ami, se rendant un de ces derniers soirs à la Douma de la ville pour la préparation des listes, m’emmène avec lui. En route, nous voyons s’avancer vers nous un soldat, casquette sur l’oreille, et décrivant sur le trottoir d’invraisemblables festons. Le spectacle ici est plutôt rare ; cependant depuis la révolution et le pillage des caves, il se rencontre quelquefois.

— Eh bien ! camarade, s’écrie mon compagnon, en ces grands jours où chaque citoyen a besoin de se sentir le cerveau clair, est-ce que vous ne trouvez pas honteux de vous être mis en cet état ?

Le soldat s’arrête et paraît chercher à réunir ses idées en fuite.

— Oui, oui, c’est vrai ; c’est bien vrai, camarade. Mais voilà : nous étions là-bas quelques amis, on a fêté la liberté