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cependant, on assure que ces produits abondent dans les villages et jusqu’en Sibérie. Un ami qui en revient me raconte que dans toutes les gares sibériennes, de Vladivostock à l’Oural, on trouve pour quelques kopeks du bon pain blanc, — régal depuis longtemps oublié à Pétrograd, — des pots de crème et de lait. Certains dépôts regorgent de farine, et même, selon une version dont je ne puis contrôler l’exactitude, le blé pourrit sur place en maints endroits.

A qui la faute ?

D’abord au paysan qui refuse, par indifférence ou par manque de patriotisme, d’accomplir l’effort nécessaire pour faire parvenir dans les grands centres le surplus de sa consommation. Ensuite et surtout au terrible état de désorganisation générale. M. Maximoff, délégué pour une des régions du Volga, affirme « qu’avec le système actuel de voies ferrées, jamais on n’arrivera à tirer la farine ou le blé de ces alvéoles lointaines que sont la plupart des villages russes. Les paysans de certaines régions qui, par patriotisme, ont cédé leur pain à des prix très bas, sont maintenant obligés de l’acheter pour eux à des prix forts ; voilà pourquoi on hésite partout à se défaire de l’excédent de récolte. »

Pour subvenir aux besoins de la population de Pétrograd, il faudrait que la ville reçût journellement de quatre-vingts à cent vingt wagons de farine. Or, on arrive à peine à en transporter quarante, soit le tiers de la quantité indispensable. Pour ce trafic, il n’y a que deux lignes de chemin de fer, celle de Moscou-Pétrograd, celle de Kieff-Pétrograd, sans cesse encombrées par des transports de troupes, de munitions, d’approvisionnemens pour l’armée. Comme pour mettre le comble au désordre et à la confusion dans le service des transports, des chefs de gare ont été tués ; des soldats ont arrêté des trains ou en ont fait partir d’autres sans raison ; des gares ont été prises d’assaut par des militaires déserteurs ; on a bouleversé des itinéraires, empêché les employés, de remplir leur tâche et volontairement gâché ou détruit du matériel ! L’ancienne vziatka, ou système des pots-de-vin, a poussé en Russie de telles racines qu’elle continue à compliquer et à entraver le service, déjà si difficile, des transports. Les marchandises, au lieu d’être expédiées par catégories, ainsi qu’il conviendrait, c’est-à-dire par ordre de livraison et d’importance économique, le sont en