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au plus ignorant des moujiks, il faut qu’il ne reste pas en Russie un individu, homme ou femme, qui ne comprenne cette vérité devenue banale, mais qu’on ne répétera jamais trop : « La Force est la garantie indispensable du Droit. »

Cet état de choses reconnu et ce principe admis, il ne reste qu’un moyen d’action : l’offensive. Tout l’effort futur de Kérensky est dans ce mot. Mais il faut d’abord, et pour en assurer l’effet, restaurer la discipline militaire, remonter le dangereux courant créé par la publication de l’Ordre n° 1 et développer dans l’armée le patriotisme. C’est à quoi le nouveau ministre s’emploie avec toute la chaleur de son aine et l’ardeur de sa conviction.

— Il y a quelques mois, me dit le praportchik Nikitine S…, qui porte un des noms les plus connus de Pétrograd et que je suis allée voir à sa caserne, les bâtimens étaient bien tenus, les cours balayées avec soin. Aujourd’hui, nous vivons dans une saleté et un désordre révoltans. Si quelque chose « clochait, » je n’avais qu’à dire : « L’homme de service ! » Immédiatement, un homme se présentait, prêt à exécuter l’ordre donné. Maintenant, j’ai beau appeler, personne ne bouge ; c’est à peine si l’un des soldats présens se lève et s’avance d’un air de mauvaise humeur en me voyant prendre moi-même un balai et me mettre à nettoyer la cour… »

Soit que leur impuissance à se faire obéir les ait conduits au découragement, soit qu’ils glissent aussi et peu à peu à une coupable indifférence, les officiers font souvent preuve d’un fâcheux relâchement dans l’accomplissement de leur devoir.

u Le 9 mai, dit le lieutenant Kosmine, j’ai assisté aux exercices militaires du matin au bataillon du régiment de Finlande, à Pétrograd. Pas de sentinelle à la grande porte. Personne n’a annoncé mon arrivée à l’officier de service. Dans certaines compagnies, aucun officier n’assistait aux exercices. Là, comme presque partout, la propreté était insuffisante, les lits mal entretenus, les fusils mal fourbis…

« Le 14 mai, j’ai accompagné à Tsarskoié-Sélo la 3e compagnie de batteries blindées contre avions qui partait pour le front. J’ai vérifié le service de garde autour du palais Alexandre où sont internés l’ex-tsar et sa famille, visité un détachement de réserve de la brigade des tirailleurs de la Garde… La batterie blindée défilait allègrement et en bon ordre ; les hommes paraissaient heureux d’aller porter aide et secours à leurs frères.