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saisons ; la place du Palais d’Hiver, — entourée de palais peints en ocre rouge comme du sang coagulé, — si vaste que 100 000 hommes suffisent à peine à remplir sa coupe arrondie ; le Champ de Mars où l’on pourrait bâtir une ville ; la Perspective Newsky, pareille à un fleuve rectiligne entre deux lacs, où coule incessamment, de la place de la gare Nicolas à celle de l’Amirauté, une foule plus houleuse que les vagues de la mer ; les quais de granit de la Neva, les plus beaux de l’Europe, au bord desquels s’accroupit la forteresse Pierre-et-Paul éternellement retentissante du hurlement de ses canons ou des gémissemens de ses prisonniers !…

Du haut des marches du Palais Marie que je viens de gravir, mon regard embrasse l’espace désormais célèbre où se déroulèrent les scènes fameuses du 21 avril/3 mai. En face de moi, au-delà de la statue de Nicolas Ier et du square qui lui fait suite, l’imposante masse de granit qu’est la cathédrale d’Isaac limite une partie de l’horizon. Avec ses degrés somptueux, ses anges monumentaux, porteurs de torches, sa coupole à colonnes, elle éveille une idée de puissance lourde et oppressive, mais aussi stable, aussi définitive que celle qu’évoquent, dans les sables d’Egypte, les ruines des temples de Rhamsès. Malgré les outrages des siècles, les temples de Rhamsès sont encore debout et la dynastie des Rhamséides n’est plus, au fond des nécropoles, qu’une inerte assemblée de momies ; les peintures de la cathédrale d’Isaac ont à peine eu le temps de sécher sous les cintres imposans de la nef et voici que, déjà, la malheureuse dynastie des Romanoff semble condamnée à périr !… Eternels recommencemens de l’histoire ; néant tragique de toutes les grandeurs !…

A droite de la monumentale cathédrale, et prolongeant la perspective presque jusqu’à la Neva, s’étend le jardin Alexandre, limité par l’Amirauté que domine une svelte flèche d’or ; à gauche, s’allonge la ligne majestueuse du palais du Saint-Synode, faisant face à la partie du jardin où, debout sur son roc de granit, se cabre le cheval de bronze monté par Pierre le Grand. Si quelque chose peut émouvoir encore l’immortel cavalier, ce sont bien les clameurs dont, en ces tragiques jours, ce paysage dg gloire a retenti. En traçant les plans de sa majestueuse capitale, en y ménageant ces vastes espaces, destinés aux déroulemens des cortèges impériaux, le grand Romanoff