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que le mauvais berger, que le chemineau jeteur de sorts. A l’intérieur aussi, il a fallu se résigner à sévir. Trop longtemps couverts par le voile d’une popularité indignement captée, Lénine et ses complices sont apparus tels qu’ils étaient, et l’on a eu la preuve qu’ils n’étaient pas seulement des politiciens extravagans et délirans ; de Berlin à Stockholm et de Stockholm à Petrograd, on a pu suivre à la trace les trente deniers de Judas. Oulianoff, dit Lénine, s’est enfui : il a sans doute trouvé un refuge en Allemagne, son pays de prédilection. Reste sa séquelle, moins puissante maintenant que ses mobiles sont découverts, mais toujours dangereuse par ses artifices. La trahison est comme un fleuve qu’il est possible de tarir à sa source, très difficile de briser dans son cours, impossible d’empêcher d’inonder et d’emporter tout, quand il a pris, en coulant largement, la force de s’épandre. Si Kerensky veut en venir à bout, c’est chez les faux Zinovieff et les faux Kameneff, chez les Apfelbaum et les Rosenfeld, qu’il est obligé d’aller la chercher, puisqu’il ne peut étendre le bras assez loin pour l’atteindre à son origine.

En attendant, les conséquences sont là : tout l’effort militaire de trois ans est compromis, ou même davantage ; l’offensive de Broussiloff, celle de l’été de 1916, avec ses 500 000 prisonniers, ses milliers de kilomètres carrés reconquis ou conquis, est annulée ; en Galicie, en Bukovine, les Empires centraux effacent et rectifient « la carte de guerre ; » ils entament la Podolie, la Moldavie ; ils guettent la Bessarabie. La Russie, mordue au Nord, ne mord plus au Sud ; envahie, elle ne rend plus l’invasion. Peut-être, à présent que l’état-major allemand ne croit plus avoir d’intérêt à la ménager, et qu’il a versé dans ses veines les philtres de dissolution, se prépare-t-il pour elle de grandes batailles. Mais la plus grande de toutes est certainement celle que Kerensky livre à l’anarchie. Qu’il la gagne, qu’il forme à son image un gouvernement de guerre, qu’il le pénètre et qu’il pénètre la nation de cette vérité élémentaire que la guerre a ses lois auxquelles les révolutions elles-mêmes ne sont pas dispensées de se soumettre, et rien n’est définitivement perdu. En soi, le fer et le sang sont injustes et impurs, un gouvernement de Salut public est tyrannique ; il n’est gouvernement de Salut public et ils n’en deviennent les instrumens sacrés, ils ne se purifient qu’à la condition qu’ils sauvent.

Par bonheur, sur les autres fronts, les Alliés ont eu d’assez belles compensations, des revanches où la Russie, la première, s’est taillé sa part. L’armée russo-roumaine, — indemne ou moins touchée en