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par suite des faibles effectifs de nos élémens ainsi que des conditions morales, n’ont amené aucun résultat positif. Quelques, élémens continuent à abandonner leurs positions et n’exécutent pas les ordres prescrits. » Mais, hâtons-nous de le remarquer, il y a la contre-partie. Le bulletin relève, comme une consolation : « Il faut souligner la vaillance des officiers qui sont tombés en grand nombre dans l’accomplissement de leur devoir... » — « Les officiers se sont fait remarquer par leur héroïsme et se sont fait massacrer en grand nombre. » Et comme une espérance : « A côté de tels élémens se trouvent des troupes qui remplissent avec abnégation leurs devoirs envers la patrie et qui opposent une résistance obstinée à l’ennemi. »

Enthousiaste et impassible en même temps, dans un esprit de total sacrifice, sachant ce qu’il risque et le risquant délibérément, Kerensky s’efforce de reprendre en main l’État et l’armée. Il ne recule pas devant les mesures extrêmes. Il a juré au peuple russe, il s’est juré à lui-même, dans sa grande pitié de la patrie, de faire un gouvernement de Salut public. Or il sait qu’un gouvernement de Salut public, gouvernement de désespoir, de combat au dedans et au dehors, doit être ou plutôt ne peut pas éviter d’être un gouvernement « de sang et de fer. » C’est précisément le langage qu’il tient ; ce sont justement les mots qu’il emploie ; ce sont ceux qu’il dicte ou qu’il inspire à ses commissaires aux armées. Il le fallait. Il faut, comme quelqu’un osa jadis l’écrire en une formule à la fois cynique et superbe, « il faut que la patrie se défende ou avec ignominie ou avec gloire ; et, n’importe comment, elle est bien défendue. » Il faut donc ce qu’il faut pour que cela soit. Parlant de cette nécessité première et revenant à cette nécessité première, se déroulent, enchaînées, toutes les autres nécessités.

« Pour que le sang des héros n’ait pas été répandu inutilement, télégraphiait le commissaire Savinkoff (qui devient ministre), à la suite de son inspection de la 7e armée, il faut que vous fassiez preuve d’une volonté de fer... Qu’ils soient punis, ceux qui refuseront d’exposer leur vie pour la patrie commune. Alors seulement le sang n’aura pas été versé en vain. » Korniloff, Tcherbatcheff, les meilleurs généraux, tous les bons soldats, ont pensé et parlé ainsi. Il en a été ainsi ordonné. « Placé devant l’alternative soit de sacrifier l’armée aux lâches et aux traîtres, soit d’avoir recours à l’unique moyen qu’ils puissent craindre, » le gouvernement révolutionnaire a dû rétablir sur le front la peine de mort qu’il avait abolie.

Dans de pareils cas, c’est moins le mauvais troupeau qui est coupable,