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sa tâche. Avant même que la taxation ne produise ces effets désastreux, la lutte commencera entre l’agriculteur qui défend ses intérêts légitimes et l’État qui prétend lui imposer un sacrifice arbitraire. Si le producteur ne porte pas ses denrées sur le marché, on devra lui imposer des réquisitions, des visites domiciliaires, lui infliger les peines prévues par les textes en vigueur ou par d’autres lois dont la rigueur devra permettre de triompher de ses résistances !

Est-ce ainsi que l’on espère obtenir ce concert de bonnes volontés, cette ardeur au travail que rien ne saurait remplacer ?

Déjà les mêmes moyens ont été employés autrefois, et voici comment un Conventionnel les appréciait : « Je ne parle pas, disait-il, de la tyrannie de ce moyen, — la réquisition, — mais je vous prie de considérer son insuffisance. Il n’y a rien de si difficile que de forcer un homme à se ruiner ; s’il y a quelque expédient secret pour l’éviter, soyez sûrs qu’il le découvrira. L’intérêt privé est toujours plus habile que les lois prohibitives ne furent rigoureuses. Recourez aux confiscations, vous serez odieux et mieux trompés, voilà tout. »

Peut-on, d’ailleurs, réquisitionner, emmagasiner et répartir des denrées périssables ? Évidemment non ! Déjà le problème est fort difficile à résoudre pour le blé, et l’État a trouvé plus simple d’immobiliser des stocks dans les greniers du cultivateur. Mais pour les pommes de terre, qui se corrompent aisément, la question devient à peu près impossible à résoudre.

À propos du beurre qui s’altère, d’un jour à l’autre, comment ferait-on ? C’est la question que posait dernièrement au ministre de l’Intérieur M. le comte de Saint-Quentin, et ce dernier avait raison de dire :

« Vous réquisitionnerez, vous aurez des stocks de beurre et de fromages ! Comment les répartirez-vous ?… Il faut voir où ce système va nous mener. La réquisition, la répartition, qu’est-ce que cela ?… C’est le rationnement… »

Ce n’est pas seulement le rationnement (qui suppose l’existence préalable d’une ration), c’est l’anéantissement de la production, car la taxation complétée par la réquisition, c’est-à-dire imposée par la violence, a pour conséquence fatale l’inertie du cultivateur, sa mauvaise volonté, et l’abandon même de la terre.

Les difficultés de la taxation sont d’ailleurs démontrées dès